Au fond du vallon, le jardin des Plantes

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 256, avril 2002

Nouvelle version augmentée, 2 avril 2022

La botanique prend au XVIIIe siècle un grand développement. La nature ne suffit plus pour herboriser. Les plantes nouvelles affluent d’outre-mer. À Angers, les professeurs de la faculté de médecine ouvrent vers 1740-1750 le premier jardin botanique sur le Tertre Saint-Laurent, pour leurs étudiants. De ce jardin, on sait peu de choses. Son principal organisateur, Berthelot du Pasty, ancien élève de Jussieu, meurt en 1773.

Les débuts rue Bressigny

Quatre ans plus tard, son collaborateur, le docteur Luthier de La Richerie, fonde la Société des botanophiles, afin de créer un jardin botanique dédié aux amateurs. Le 25 avril 1777, bail est passé pour la location d’un vaste enclos ouvrant sur les rues Châteaugontier et Bressigny, à l’endroit de l’actuelle rue Béclard. Cependant, l’emplacement est trop petit. Les plantes s’étouffent mutuellement. Le statut du jardin est d’ailleurs précaire, soumis au bon vouloir du propriétaire à chaque renouvellement de bail. Ce qu’exposent au conseil de ville La Révellière-Lépeaux, Pays Duveau et Merlet de La Boulaye, directeur et associés du jardin botanique en 1788. Mais la municipalité ne seconde pas leur dessein et c’est à titre personnel que l’un des Botanophiles, Pilastre, achète le 4 mars 1789 aux bénédictins de Saint-Serge la closerie des Bassins, au bas de la vallée Saint-Samson, origine du jardin des Plantes actuel.

Le terrain idéal près de Saint-Serge

Le terrain, vallonné, d’exposition très variée, est particulièrement favorable grâce à l’irrigation continue que procure un ruisseau abondant. Le jardin ne quittera donc pas cet endroit, mais bien plutôt doublera de superficie. Nommé directeur du jardin à la fin de l’année 1789 en remplacement de La Révellière-Lépeaux, député aux États Généraux, Merlet de La Boulaye fait entreprendre les défrichements durant l’hiver 1790-1791 et dessine les plans du premier jardin. Le 9 mai 1791, il y donne le premier cours public et gratuit de botanique et rédige l’année suivante un catalogue alphabétique des plantes qu’on y cultive, où figurent un magnolia, le premier planté à Angers (1792) et un agave d’Amérique qui, fait très rare, fleurira en 1850. La municipalité ayant acheté l’enclos et l’église Saint-Samson comme bien national pour les joindre au jardin botanique (avril 1791), Pilastre renonce à ses droits sur le terrain. Étant donné l’intérêt de l’établissement, le conseil général du département accorde une subvention annuelle à partir de 1792 et le déclare propriété nationale.

En 1796, le jardin est annexé à l’École centrale du département (ancêtre des lycées) et ouvert au public. Il devient municipal en 1805 lorsque les bâtiments et les collections de l’École centrale supprimée sont mis à la charge de la Ville. Le jardin connaît une suite de directeurs très actifs, Merlet, Bastard, Desvaux, Boreau surtout de 1838 à 1875, artisan de son agrandissement par des acquisitions successives en direction du faubourg Saint-Michel.

Un jardin d’étude

Tous s’efforcent de lui conserver son caractère de lieu d’étude, malgré la tendance de plus en plus forte à le transformer en promenade. Toutefois l’arrêté du maire de juin 1813, qui en permet l’entrée tous les jours à l’exception du dimanche, précise : « Considérant que le jardin botanique est spécialement destiné à la culture et à la conservation des végétaux indigènes et exotiques nécessaires à la démonstration pendant le cours qui s’y donne chaque année […], le jardin, sans être une promenade publique, est ouvert aux habitants et aux étrangers. » L’« Annuaire de Maine-et-Loire » pour 1804-1805 le présente déjà comme « depuis longtemps célèbre » : « Cet utile jardin très bien entretenu a sur presque tous ceux de France l’avantage inappréciable d’être traversé par un cours d’eaux vives, ce qui donne la facilité de cultiver un grand nombre de plantes aquatiques qu’on ne trouve pas dans les jardins de botanique ordinaires ».

Par leurs publications, les directeurs du jardin attirent l’attention du monde savant sur la botanique angevine et permettent de fructueux échanges. L’école de botanique d’Angers – ainsi appelait-on le jardin botanique – cultive plus de 2 000 plantes en 1811. Le jardin comprend deux parties : l’école de botanique dans la partie basse, organisée suivant la classification de Linné ; les collections d’arbres étrangers et les porte-graines dans la partie haute, traitée de façon paysagère. Entre les deux se trouve l’ancienne église Saint-Samson et une orangerie bâtie en 1826-27, flanquée de deux serres en 1845 et 1847 pour conserver les riches collections de plantes exotiques. Alexandre Boreau, dont les collections forment aujourd’hui un précieux fonds au musée botanique de l’Arboretum, écrit en 1835 : « C’est un jardin scientifique pour l’introduction et la naturalisation des végétaux et pour l’enseignement. Les plantes officinales sont cultivées en assez grand nombre pour les donner gratuitement aux indigents sur billet de médecin ». Le jardin botanique connaît avec lui sa plus belle période. 5 000 espèces environ y sont cultivées et chaque année un catalogue des graines récoltées est publié et envoyé à tous les jardins botaniques d’Europe. On peut admirer dans les serres nombre d’espèces rares, comme des fougères arborescentes, des orchidées, des broméliacées, des aroïdées, des euphorbiacées…

Agrandi et redessiné

L’agrandissement du jardin vers l’est et le sud fait rêver de l’ouvrir sur la ville, vers la butte du Pélican (actuelle place Mendès-France) dès 1853, alors qu’il se trouve enclavé entre les deux faubourgs Saint-Samson et Saint-Michel, avec pour seul accès l’entrée située à l’angle des rues Boreau et Saint-Samson. Le projet se réalise au début des années 1890. Une esplanade, sur laquelle est installée la statue de Chevreul, fait le lien entre le jardin, la place du Pélican et les boulevards. La nouvelle entrée, fermée par d’opulentes ferronneries dans la tradition du parc Monceau à Paris, est inaugurée le 3 décembre 1893, ainsi que le buste de Boreau, près de l’église Saint-Samson.

L’ouverture sur la ville rend inéluctable la réfection complète du jardin, d’autant que les travaux ont entraîné la suppression d’une partie des plates-bandes botaniques. L’école de médecine avait donné en 1891 un avis favorable au transfert de l’école de botanique dans son jardin. Le directeur du jardin des Plantes, Lieutaud, le réclame au maire en janvier 1893, et conclut sa lettre, devant l’urgence de ne pas perdre les plantes : « Je me trouverai autorisé par votre silence. » L’école de botanique est donc peu à peu transférée à l’école de médecine, sans qu’aucune décision ne soit prise officiellement par le conseil municipal. On ne voulait pas donner de publicité à la suppression de l’œuvre du grand botaniste Boreau.

En 1900, le destin du jardin est confié au paysagiste Édouard André, renommé de l’Europe à l’Amérique, en particulier pour ses parcs de Liverpool, Monte-Carlo et Montevideo. Le nouveau tracé, celui du jardin actuel, est réalisé selon ses plans en 1905, dans le style anglais. Les reliefs du terrain sont remarquablement mis en valeur. L’eau y joue un rôle essentiel, selon les principes du grand paysagiste. Le tracé s’appuie sur deux bassins, reliés par une rivière et alimentés par un ruisseau en cascade. Les plantations sont soignées. Édouard André préserve le plus possible les arbres existants et choisit de nombreux végétaux rares pour les compléter. De cette époque date le superbe Zelkova, un orme de Sibérie situé au pied de l’esplanade d’entrée, classé « arbre remarquable » en 2002.

Arbres exceptionnels

Il y avait depuis longtemps des animaux au jardin des Plantes et Édouard André prévoyait l’aménagement de refuges pour les oiseaux d’eau sur les bassins. Bien plus, il avait eu l’idée de remplacer l’église Saint-Samson par un aquarium tropical. Ce projet n’est pas réalisé, mais un enclos reste réservé aux animaux. Une nouvelle ménagerie est installée peu après 1945, puis une volière. Les serres sont supprimées en 1962, remplacées par une terrasse de jeux. Le dernier agrandissement date de 1967 : 2 500 m2 provenant du réaménagement du quartier Saint-Michel deviennent jardin de rocaille, ce qui porte la superficie totale du jardin à 41 000 m2. Depuis 1983, le Centre de congrès a remplacé l’ancien quartier Saint-Samson. Dans ce jardin tout attire, distrait et réjouit la vue : arbres centenaires fleurissement varié, statues, diversité des points de vue.

Des arbres exceptionnels sont à signaler, comme le groupe de platanes bicentenaires (près de l’entrée rue Boreau) ; l’arbre aux pochettes (Davidia involucrata), près de l’aire de jeux ; l’énorme cyprès chauve (Taxodium distichum) en contrebas de l’aire de jeux, au bord du ruisseau, sans doute l’arbre le plus ancien du jardin (début XIXe siècle) ; non loin le grand Gingko biloba ; l’if commun (Taxus baccata) ; le chêne d’Algérie au pied de la butte aux cèdres ; sur la butte, le sapin de Numidie (Abies numidica), haut de 24 mètres et le cèdre puant de Floride (Torreya taxifolia), l’un des plus rares conifères du monde… Les arbres vivent et meurent aussi. Le célèbre micocoulier, qui se trouvait devant l’église Saint-Samson, a dû être abattu en 2015, de même qu’en 2020 le hêtre pourpre qui faisait face au Centre de congrès. Un noble chêne, un Quercus nuttallii ou chêne rouge du Texas, l’a remplacé, planté comme « arbre de la liberté » dans le cadre du budget participatif en 2021.