Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 265, février 2003
La mode des kiosques à musique, avec le développement des sociétés musicales, apparaît dans les années 1850, pour se développer largement entre 1870 et 1914. Les premiers naissent dans les villes de garnison - toutes dotées d’harmonie(s) militaire(s) - dans les villes industrielles et de tradition musicale ancienne : Metz (1852), Strasbourg (1855), Colmar (1858), Angers (1859), Cambrai (1861), Montluçon (1863), Paris (1864)…
Angers est donc la quatrième ville de France à avoir eu l’agrément d’un kiosque. Le premier, au jardin du Mail nouvellement créé, est un « orchestre mobile » en bois, rebâti et rendu fixe en 1862. Un très beau kiosque dodécagonal métallique, le plus riche modèle alors existant, le remplace en 1877.
Un kiosque octogonal
Cependant, la Doutre se plaint d’être déshéritée. Sa fanfare est obligée de passer les ponts pour aller jouer au jardin du Mail. Les habitants ne peuvent profiter comme ils le veulent des concerts. Devant leurs réclamations réitérées, le conseil municipal du 22 janvier 1892 examine un projet d’embellissement de la toute nouvelle place La Rochefoucauld. Sa configuration n’était pas alors ce simple rectangle allongé que l’on connaît. Elle était augmentée d’un grand triangle situé entre l’avenue des Arts-et-Métiers, la rue du Godet (qui passait au milieu de la cour actuelle de l’école des Arts et Métiers) et le boulevard Arago : terrain actuellement occupé par des ateliers de l’école. On décide d’y placer un abreuvoir en granit pour les foires aux bestiaux, deux petits chalets de nécessité et un kiosque à musique au centre d’un square.
Aussitôt le ministère de tutelle de l’école des Arts et Métiers s’émeut de ce projet qui risque de perturber le travail des jeunes gens et enclenche un projet d’acquisition du terrain, ce qui n’empêche pas le kiosque d’être réalisé en mars-avril. Construction modeste : un simple soubassement, une sorte d’estrade musicale, baptisée lors du concours musical du 12 juin 1892 organisé par la Fanfare de la Doutre.
Le jardin planté à la hâte périclite dans les chaleurs de l’été 1893 et doit être renouvelé au printemps suivant. On en profite pour achever le kiosque : toiture en bois et zinc, ornée de lambrequins en bois découpé, balustrade de même. L’éclairage au gaz est installé. Il s’agit, on le voit, d’un édifice octogonal des plus simples, élevé en bois. Peu de villes disposent alors de deux kiosques. Dans ce cas, le second est souvent un édifice léger, en bois.
Vandalisme
Construction d’autant plus fragile que « la population des quartiers Saint-Jean » ne paraît pas très respectueuse des lieux… À chaque concert, le luminaire du kiosque doit être réparé. Le plomb est dérobé. La serrure de la trappe du soubassement est forcée, les globes déposés à l’intérieur brisés. « Nous avons remarqué, écrit le conducteur des travaux Rohard en juin 1898, que la plupart du temps la porte de la barrière entourant le kiosque est ouverte, et que les enfants du quartier, sous l’œil de leurs parents qui, loin de les reprendre, les encouragent, font les acrobates sur les rampes et grimpent aux poteaux. Personne ne leur dit rien et le préposé au kiosque ne s’en occupe même pas ».
Plaintes annuelles. Réparations annuelles. « Le kiosque […] est souvent le refuge de vagabonds qui viennent y passer la nuit. D’un autre côté, les enfants du quartier escaladent la porte et jouent sur le plancher dudit kiosque et se pendent aux appareils d’éclairage. Il serait utile pour conserver cet édicule de faire un entourage au pourtour pour le protéger » (rapport de juin 1899).
Peine perdue. Le dimanche 29 avril 1906, la municipalité va se rendre compte de l'état du kiosque, « fort dégradé tant par les intempéries des saisons que par le sans-gêne de certains gamins ». Nouveau constat du brigadier Rousseau en février 1907 : « J'ai constaté que les portillons de clôture s'ouvraient et se fermaient à volonté, qu'une certaine quantité de lames du parquet formant le plancher étaient arrachées, la plupart tombées dans le sous-sol qui lui-même a l'aspect d'un dépotoir. Le compteur à gaz placé dans ce sous-sol a les verres de ses cadrans brisés. M. Baron, adjoint, désire qu'une surveillance soit exercée autour de ce kiosque pour éviter les déprédations et les saletés qui s'y commettent ».
Rohard note en marge de ce rapport : « Nous donnons des ordres pour le réparer ». Puis, plus rien. Le silence enveloppe le kiosque. Il disparaît de toute façon en 1924 dans l’agrandissement des ateliers de l’école des Arts et Métiers, si la municipalité - lassée d’y faire des réparations annuelles - ne l’a pas sacrifié bien auparavant !