Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 296, décembre 2005
Angers commence à s’éclairer au gaz en 1843 lorsqu’une nouvelle technique voit le jour : l’électricité, expérimentée de façon temporaire à Paris pour l’éclairage public en 1843, puis utilisée sur les chantiers du nouveau Paris d’Haussmann.
À Angers, le progrès vient des ardoisières, dont l’exploitation désormais souterraine nécessite un éclairage sûr. Dès 1861, l’ingénieur des mines Aimé-Étienne Blavier étudie la question, reprise en 1863 grâce à l’Angevin Ernest Bazin, qui crée une société pour prendre en charge cet éclairage. L’expérimentation se déroule en septembre 1863 à la carrière de la Paperie, sous la surveillance de Zénobe Gramme, futur inventeur de la dynamo électrique. L’essai est concluant, mais les exigences financières de la société font reculer la Commission des ardoisières.
D’abord aux ardoisières
Il faut attendre 1879 pour que l’électricité soit introduite, à la carrière des Fresnais. Cette première application fait des émules. Le 17 mars 1880, le Palais des Marchands inaugure ce mode d’éclairage pour son magasin de meubles. Une lampe à l’extérieur, trois à l’intérieur, les débuts sont modestes…, mais le public, habitué au pétrole ou au gaz, sinon aux bougies, est naturellement émerveillé : « On se serait cru en plein soleil ». Au même moment, le serrurier Rabouin, boulevard Ayrault, ouvre la liste des entrepreneurs séduits par l’électricité.
Premières études municipales
La question de l’électricité est pour la première fois évoquée au conseil municipal du 9 juillet 1887 : « Quelques villes de France ont mis à l’étude l’éclairage électrique pour les services publics ». La commission des finances exprime le désir que la Compagnie du gaz, tenue de mettre en œuvre tous les perfectionnements de l’éclairage, travaille au plus tôt en ce sens. Le 30 mars 1888, le conseil décide à l’unanimité l’électrification du théâtre. Cependant l’éclairage électrique fait encore peur et la question est sans cesse ajournée.
Quoique la lumière électrique, « très blanche et très douce », d’aspect « vraiment féerique », produise forte impression lors de l’exposition nationale d’Angers de 1895, la concurrence de l’éclairage au gaz est toujours très forte. Néanmoins, l’arrivée des tramways électriques en 1896 dispose favorablement certains esprits. Le 26 mai 1897, la commission municipale de l’éclairage reconnaît enfin la supériorité incontestable de l’électricité sur le gaz et décide de mettre la Compagnie du gaz en demeure de l’installer. Celle-ci refuse le cahier des charges qui lui est présenté.
Faut-il ou ne faut-il pas ?
L’affaire traîne en longueur, si bien que de petites villes comme Malicorne (Sarthe), ou même Seiches, seront éclairées à l’électricité avant Angers… On se noie dans de multiples interrogations. Il ne faut pas déplaire à la Compagnie du gaz. Peut-on l’obliger à adopter l’éclairage électrique ? Accorder des concessions à d’autres compagnies ? L’éclairage de la ville sera-t-il total ou partiel ? Remplacera-t-il totalement le gaz ou les deux systèmes seront-ils conservés ?
Les choix sont faits – très timidement - en 1899-1900. Une nouvelle Compagnie est créée parallèlement à celle du gaz ; les deux énergies subsisteront concurremment, souvent côte à côte dans une même rue ; l’éclairage électrique sera d’abord partiel, réservé au théâtre, à l’hôtel de ville et au centre ville, avec quatre lampes pour la Doutre quand même ; extinction après 11 heures du soir pour réduire les coûts.
Les statuts de la société anonyme dite Compagnie d’électricité d’Angers et extension sont établis le 14 juin 1899. L’usine électrique, quai Félix-Faure, en amont du pont de la Haute-Chaîne, est achevée fin 1901. Huit chaudières au charbon - consommant l’équivalent d’un train de charbon par jour – produisent la vapeur qui actionne les turbines. Une dynamo transforme le mouvement mécanique en courant continu, réparti par câbles souterrains aux différents points de la ville. Rue Saint-Laud, une sous-station redistribue le courant vers d’autres directions, avec des tensions différentes. L’immeuble du n° 45 porte encore à son fronton l’inscription de la Compagnie d’électricité.
Effet merveilleux
Les travaux d’installation du premier réseau sur cinq kilomètres de rues sont laborieux. Ils ne commencent que le 28 août 1902. L’effervescence est à son comble à l’automne. La « petite fée bleue » arrive d’abord au théâtre le 9 octobre, puis à l’hôtel de ville le 13 novembre et brille dans les rues, progressivement, à partir du nouvel an.
De nombreuses entreprises d’électricité se montent. Les deux premiers magasins raccordés au réseau électrique - la bijouterie Quignon-Rombach et la Boucherie parisienne, presque face à face, rue Chaussée-Saint-Pierre – enchantent les yeux. « Et maintenant, titre Le Petit Courrier, à qui le tour ? Fiat lux ! Pour l’éblouissement général ! ».