Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 257, mai 2002
Tri sélectif, recyclage des déchets…, les règles d’hygiène ont évolué depuis le XIXe siècle. Souvenirs olfactifs…
Vers 1850, un Angevin écrit à l'adjoint au maire Richou :
« Mercredi, une fille ayant été dans une boucherie rue Saint-Nicolas, il n'y avait personne dans la boutique, cette fille s'est avancée jusque dans la cour. Elle a vu un fumier de cheval où il y avait des morceaux de pire [sic] gâtés. Cette fille, çà lui a fait un tel mal au coeur qu'elle a été deux jours bien malade. Outre cela, dans la cour qui donne dans la rue Normandie, toutes sortes d'ordures qui sont supulentes [sic], outre cela il y a le jus du fumier à Mason qui empoisonne tout le quartier. Je prie M. Richou à veiller dans le plus bref délai pour la santé du public » (Lettre non datée, Arch. mun., série I).
En 1880, le Journal de Maine-et-Loire daté du 8 janvier évoque
« La négligence et le sans-gêne des manipulateurs des fumiers municipaux [qui] ne connaissent plus de bornes. La ville d’Angers, transformée en un vaste cloaque, ressemble à un terrain à ensemencer. Le fumier, l’engrais animal y sont échelonnés à un degré inquiétant… ».
Quelques semaines plus tard, le 2 mars, la publication revient sur le sujet :
« Telles et telles villes de l’Ouest étaient renommées pour l’absence presque absolue d’entretien de leurs rues et - disons le mot - pour leur saleté proverbiale, les édiles municipaux ne daignant jamais faire enlever les boues et les vidanges. Allez aujourd’hui visiter Rennes, Brest et Nantes, chers Angevins, et vous reconnaîtrez au premier coup d’oeil que c’est la ville d’Angers seule qui mérite désormais la médaille… […] Angers n’est plus que le dernier asile des « balayeures » municipales. Celles-ci se trouvent si à l’aise dans ses rues qu’elles y restent et que personne ne les enlève ».
Le centre-ville est particulièrement visé par les critiques. Ainsi, le 19 mai 1921, on peut lire dans L'Ouest :
« Autour du cirque-théâtre. […] Vous n’avez pas été sans remarquer ce fait surprenant : vers le milieu de la représentation et davantage encore à la fin, les trottoirs qui entourent l’établissement, par les journées les plus sèches et les plus belles, celles où l’on n’a vu la moindre averse… sont absolument inondés, comme si on les arrosait depuis quelque deux ou trois heures. Comment expliquer cette chose étrange ? Oh ! c’est bien simple… Au premier entr’acte, s’il y en a plusieurs, sortez avec la première vague des spectateurs et, au lieu d’aller faire un tour dans les rues avoisinantes, donnez-vous la peine d’attendre quelques instants à trois pas de la sortie. L’attente ne sera pas longue. Tout de suite, vous verrez, de chaque côté de la porte, une file d’hommes et de jeunes gens s’installer, à la faveur de l’ombre, je devrais dire de l’obscurité, le nez contre le mur : cinq minutes plus tard, l’inondation… est largement commencée.
Le moyen de l’empêcher ? Il faut, pendant les représentations, éclairer davantage les abords du cirque-théâtre ».
Publiée le 30 septembre 1924 dans L'Ouest, la lettre d'un Angevin interroge à son tour :
« L’été, beaucoup de voies d’Angers sont inhabitables en raison de la poussière soulevée par les véhicules (rue de Paris, rue des Ponts-de-Cé, place André-Leroy, etc.). […] Il y a aussi la question de la vidange des fosses d’aisance, car le tout à l’égout n’existe pas à Angers. […] Pourquoi tolère-t-on de telles opérations en plein jour ? […] Il est évident qu’ici encore il faut mettre immédiatement à l’étude avec le désir d’aboutir rapidement l’établissement obligatoire du tout-à-l’égout dans la ville entière ».
En 1926, le comité de la Commune libre de Saint-Laud a félicité les édiles de la disparition de la mer de boue qui submergeait le quartier de la gare. Une amélioration due en fait à la sécheresse… L'Ouest du 1er mars rapporte qu'au milieu même d'une séance du comité - il était 14 h 30 -
« il fallut allumer l’électricité tant était grande l’obscurité. […] Chacun se précipita dehors pour se rendre compte de ce qui se passait et l’on s’aperçut que tout le quartier de la gare était enveloppé dans un immense nuage de poussière, nuage qu’entretenait chaque passage de voiture et le plus petit coup de vent ».
Après la guerre, la question de la propreté de la ville est toujours d'actualité. Ainsi, M. Ascencio intervient le 22 mars 1948 au conseil municipal pour rappeler :
« Il existe sept ou huit dépotoirs et, le long de la rivière, des tas de choses disparates en commençant par des tas de verres, des résidus de cuisinières, etc… Je vous assure que cet état de choses est d’un effet disgracieux […] Quand des fêtes nautiques sont données dans les bassins de Reculée, quantité d’étrangers assistent à ces joutes nautiques et cet état de saleté de la rue Basse est d’un déplorable effet pour les visiteurs ».
1963... enfin,
« Angers ne sera plus la ville « sale » de l’Anjou, apprend-on dans Le Courrier de l'Ouest du 6 novembre. Un plan quinquennal est en route pour la construction d’un « tout-à-l’égout » moderne. […] « L’un des problèmes concernait l’absence à Angers, d’un réseau du « tout-à-l’égout » permettant de supprimer des odeurs par trop désagréables et des… surprises comme celles d’un certain Noël 1962, où il fallait avoir le pied marin pour se risquer dans les rues du centre, transformées en une impitoyable (et trop cruelle) patinoire. Car […] si un effort a été réalisé […] dans les quartiers neufs, le centre d’Angers et tous les quartiers qui l’entourent sont un démenti formel à… la salubrité d’une cité. Les eaux “usées” provenant des immeubles courent en toute liberté dans les caniveaux. Nombreux sont les hôtes de la cité qui sont surpris par des projections (intempestives) d’une eau savonneuse ou polluée provenant d’un immeuble. L’hiver, cette eau se transforme en glace… créant des patinoires fort dangereuses ! ».