Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 297, janvier 2006
En 1880, le journaliste parisien L. Mertens écrit dans « La vie au grand air » qu’Angers est « la véritable capitale du cyclisme en France ». De fait, elle organise dès 1868 une première course vélocipédique, lors des courses hippiques d'automne. Quelle surprise alors de constater qu’en 1920 la ville n’a toujours pas de vélodrome permanent !
Toutes les villes environnantes en possèdent un : Nantes, Rennes, Tours, Le Mans et même de plus petites comme Cholet, Saumur, La Flèche… Mais le Véloce-Club, fondé en 1875, donnait ses courses au jardin du Mail et avenue Jeanne-d’Arc : on ne pouvait rêver plus central, plus « confortable ». C’est dans cette routine, à peine secouée par quelques tentatives, que l’on s’endort pendant quarante ans.
Première tentative en 1894 : le Véloce-Club parle d’installer un vélodrome dans le quartier de la gare Saint-Laud. Projet vite abandonné au profit de la place des Arts, devant l’école des Arts et Métiers. Pas de suite. Nouveau soubresaut en 1902 : « Le Petit Courrier » informe ses lecteurs qu’une société vient de se former pour la construction d’un vélodrome. Le terrain est déjà choisi, route des Ponts-de-Cé, à l’extrémité de la ville. L’entrepreneur, le garagiste Vollant, « a pris toutes les mesures pour que les travaux soient terminés le 1er mai 1903 ». Très vite, on n’entend plus parler de ce projet.
Vélodrome saisonnier
Mars 1910. Séance mémorable au Véloce-Club. Quelques membres demandent un vélodrome. On discute ferme, mais on ne peut s’entendre. La demande est rejetée par vingt-et-une voix contre. Les neuf partisans du vélodrome démissionnent et passent au Vélo-Doutre, second club cycliste créé en 1895. En huit jours, ils lui amènent deux cent cinquante nouveaux sociétaires. Ils sont cinq cents en juillet. Le club est rebaptisé Moto-Vélo-Doutre. Un vélodrome sera construit… mais démontable ! Il est inauguré place La Rochefoucauld le 19 juin 1910. Malgré une dépense élevée chaque année – 6 000 francs – il est monté cinq saisons de suite, pour quatre mois. Des épreuves célèbres s’y déroulent : le Grand Prix du conseil municipal (vitesse), le Grand Prix du vélodrome (idem) et la Roue d’Or (100 km derrière motos).
Après cinq années de guerre, l’inflation des prix ne permet plus de monter chaque année un vélodrome en bois. L’action persévérante de quelques-uns - Derouin, Louis Cointreau et Fatou pour le Moto-Vélo-Doutre notamment – mène d’abord le 5 mars 1920 à la fusion des deux sociétés cyclistes, sous le nom de Moto-Véloce-Club angevin.
Des passionnés à l’action
Aussitôt, les partisans d’un vélodrome passent à l’action. On reprend l’idée, déjà émise avant guerre, d’un vaste terrain de sport municipal, avec stade, vélodrome, tennis et piscine. Cependant, il faut vite y renoncer devant l’indifférence du conseil municipal. Quelques acharnés en reviennent donc à la création d’un vélodrome privé. L. Derouin, vice-président du club, le jure : il trouvera le terrain adéquat et fera construire ce vélodrome. Il peut compter sur le dévouement inlassable de son compère Fatou, ingénieur de la voirie à la ville d’Angers, pour en établir les plans.
Le 19 décembre 1921, à l’assemblée générale du club, on annonce qu’un terrain rue Montesquieu, à 150 m du tramway, est retenu tant pour sa superficie que ses facilités d’achat, de préférence à celui du Club sportif Bessonneau à Saint-Léonard auquel on avait d’abord pensé. Fatou a déjà dressé les plans. Une société foncière dirigée par le président du club, Louis Cointreau, est créée pour l’acquisition et la construction. L’entrepreneur Louis Paranteau, vice-président de la société, est chargé des travaux. On lance une souscription populaire pour réunir les fonds. Mais les péripéties ne sont pas achevées…
Souscription problématique
« Ce n’est trahir aucun secret que de dire combien fut difficile la souscription ouverte pour le vélodrome d’Angers », écrit Jacques Bouchemaine dans « L’Ouest » du 17 juin 1922. « Malgré de nombreux appels lancés dans les journaux, on eut toutes les peines à réunir la somme de 100 000 francs. […] À La Flèche, une souscription identique a dépassé 70 000 francs pour une ville d’à peine 10 000 habitants ». À Saumur, dans une ville de 25 000 habitants, on trouve facilement 300 000 francs et la municipalité donne le bon exemple en votant un crédit de 10 000 francs. « Pourquoi la capitale de l’Anjou, quatre fois plus importante, a-t-elle eu tant de mal à fournir les 100 000 francs qui lui étaient demandés ? Elle aime les sports, elle aussi, cependant ».
La piste en ciment de 300 m de long, large de 6,50 m, soutenue par des piliers en ciment avec une inclinaison moyenne de 82 % est brillamment inaugurée le 10 septembre 1922. Le champion de France Gabriel Poulain y remporte le 39e Grand Prix d’Angers, tandis que l’Angevin Raymond Mourand gagne la grande régionale. En novembre, la municipalité angevine ne peut faire moins que de voter une subvention de 1 000 francs, d’autant que les installations ne sont pas achevées.