Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 277, mars 2004
La démolition des halles, situées entre la place Mondain-Chanlouineau et celle de la République, engage une nouvelle métamorphose du quartier de la République, le seul du centre-ville, intra-muros, à « muer » régulièrement depuis le XIXe siècle.
Les dénominations de voies, qui encadrent un terrain en forte déclivité, dévoilent déjà quelques éléments d’histoire : Baudrière, principal axe nord-sud de la ville depuis l’époque gallo-romaine et l’un des centres du négoce angevin ; Plantagenêt, autrefois rue de la Boucherie, domaine du commerce de la viande et premier « abattoir » de la ville ; Saint-Laud, ancienne voie gallo-romaine, axe est-ouest de la ville, voie commerçante par excellence ; rue de la Poissonnerie, l’équivalent de la rue de la Boucherie pour le poisson.
Coeur de ville
Bref, un quartier dense, situé précisément au centre de l’activité, au croisement des deux principaux axes urbains, jusqu’au milieu du XIXe siècle. Un lacis d’étroites rues l’irrigue, aux noms évocateurs : rues de l’Épicier, du Petit-Prêtre, de la Chapelle-Fallet, du Bœuf-Couronné (une pâtisserie), des Lauriers, ruelle du Nid-de-Pie, venelle de Bouche-Froide, impasse du Griffon (une auberge).
Au milieu de ce grouillement de vie, une petite place, l’une des plus anciennes d’Angers, celle de la Chevrie, « Caprareia » dans sa première mention, en 1131 : lorsque la rue de la Poissonnerie est inondée, poissonniers et boulangers y replient leurs étals. Les fouilles du quartier en 1982 y ont mis au jour quantité d’ossements de chèvres…, ce qui renseigne sur l’étymologie de son nom, devenu par la suite place Cupif, en l’honneur d’une famille qui donna plusieurs maires à Angers au XVIIe siècle.
Centre du commerce, peut-être, mais de halles, point. Les foires ne pouvaient se tenir dans un quartier aussi resserré. Tenues sur les ponts ou à proximité, elles sont transférées avant 1255 à l’extrémité de la ville, actuelle place Louis-Imbach, sur une vaste place où l’on édifie des halles, attestées en 1274. En revanche, la juridiction consulaire, ancêtre du tribunal de commerce, est établie en 1564 rue Baudrière, dans un ancien hôtel particulier dès lors dénommé « Palais des Marchands » et c’est place Cupif que se trouve le bureau général des diligences et messageries royales au XVIIIe siècle… On peine à l’imaginer, les rues ayant une largeur moyenne de 3,50 à 4,50 m !
Halles et Palais
Tout change au XIXe siècle avec l’opération d’urbanisme « hygiénique » entreprise dans les bas quartiers et accélérée par la grande inondation de 1856. La rue de la Boucherie est élargie, nivelée et rebaptisée rue Plantagenêt en 1855. Celle de la Poissonnerie est exhaussée à partir de 1862, la place Cupif triple de surface et reçoit la poissonnerie en 1866, transférée de la place Molière par suite de la construction du cirque-théâtre. C’est un premier pas vers l’installation d’un marché couvert, instamment réclamé par les riverains. L’Indicateur angevin de 1866 note avec satisfaction que « les sales et hideux quartiers de la basse ville ont déjà fait place à de belles rues et à une place sur laquelle on établira un marché ».
Satisfaction est donnée aux habitants en 1870 avec la construction d'un marché couvert, des halles à la Baltard, aux frais de l'entreprise Henry, moyennant concession des droits de place pour onze ans et neuf mois. Hélas, les halles s'effondrent le 16 décembre 1874, faisant un mort et une quinzaine de blessés. Elles sont reconstruites en 1875 aux frais de l'entrepreneur, avec doublement des poutres métalliques, mais Henry réclame 300 000 francs de dommages et intérêts à la Ville.
Pendant ce temps se mettait en place une véritable bombe à retardement qui déstabilisa tout le quartier pour plus d'un siècle et demi : la création en 1863 par Rémy Chanlouineau, négociant à Saumur, d'un petit magasin de nouveautés en association avec Alexandre Roy. Petit magasin deviendra grand, grâce au talent et à l'association en 1875 de Chanlouineau avec Rémy Mondain et Louis Vollerit. Le nouveau Palais des Marchands, premier grand magasin d'Angers, par agrandissements successifs, telle une pieuvre devenue géante, étend ses tentacules sur tout le quartier. Il aurait même dévoré tout un côté de la rue Plantagenêt si un gigantesque incendie ne l'avait arrêté dans sa course le 21 novembre 1936.
Un terrain vague
Le Palais des Marchands devenu terrain vague - et ses caves profondes, domaine de la défense passive en 1939-1944 -, le quartier n’a plus rien d’attractif. Déjà en 1893, pour lui donner une meilleure image, on avait changé la dénomination de place Cupif, qui sonnait mal, en place de la République. Quant aux halles, dans un délabrement total, elles sont devenues royaume de la crasse et des courants d’air. Que faire donc du « trou du Palais des Marchands » ? De nouvelles halles centrales pour le marché de première main ? On préfère Saint-Serge. Une gare routière ? Il y a déjà la gare Citroën. Un parking géant sur plusieurs niveaux, une piscine, ou le nouvel hôtel de ville ?
Dans le doute, il est urgent d’attendre, et, en attendant, démolissons ! À bas les vieilles halles démantibulées (1971), à bas les immeubles du quartier, un à un rachetés par la Ville à partir des années soixante… Et le trou de s’élargir, jusqu’à devenir un immense parking provisoire… Un programme ambitieux de reconstruction, le projet Monge, est présenté au conseil municipal en 1973. Trop futuriste, il déplaît. La nouvelle municipalité de Jean Monnier se penche à son tour sur le « trou » de la République. Il en sort, avec le projet Lebreton-Haffner, un urbanisme prudent, plus attentif à l’environnement historique : les halles « troisième génération », inaugurées en mai 1984 et de nouveaux logements dans la partie basse, autour du square Jean-Monnet, en 1985. Ce n’était pas là le point final. La « quatrième génération » arrive pour le printemps 2005.