Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 250, octobre 2001
L’orchestre national des Pays de la Loire a trente ans. L’occasion d’évoquer la création de cet ensemble qui compte aujourd’hui parmi les meilleurs de France.
« Un heureux événement a été fêté mardi soir [21 septembre 1971] sous la forêt des ogives de bois qui habillent les greniers du vieil hôpital Saint-Jean, à Angers […] : la naissance de l’orchestre philharmonique des Pays de la Loire, que Nantes célèbre à son tour ce mercredi au théâtre Graslin, en présence de M. Jacques Duhamel [ministre des Affaires culturelles], troisième des grands orchestres français, après l’orchestre de Paris et l’orchestre philharmonique Rhône-Alpes. […] L’événement est d’importance. C’est la première fois en France que deux villes (distantes de 90 kilomètres et qui passent souvent pour rivales) s’unissent pour créer, avec le concours de l’État, un grand orchestre de cent quatorze musiciens » (Le Monde, 23 septembre).
Quel événement en effet ! L’accord entre deux villes, deux départements et l’État pour réaliser le premier instrument culturel régional alors que les institutions régionales sont encore au berceau… Le miracle de la musique !
Cependant, le « miracle » n’est pas soudain. Il puise ses racines dans la longue tradition musicale angevine, que l’on peut faire remonter à la fin du XVIIIe siècle. À plusieurs reprises, des orchestres sont constitués au siècle suivant. Angers est une ville « philharmonique ». La naissance de l’Association artistique des concerts populaires en 1877 concrétise cet amour de la musique. L’orchestre de l’Association, d’environ cinquante exécutants, organise de prestigieuses saisons musicales en même temps qu’il assure la saison lyrique du théâtre. De très grands compositeurs viennent à Angers : Massenet, Gounod, Saint-Saëns, Franck, Fauré…
Quatre-vingts ans plus tard, le public se fait rare aux concerts, concurrencés par la radio, le disque et la télévision. Jean Bauer, secrétaire de la Société des concerts populaires, entreprend donc de mener, à partir de 1960, une politique de reconquête musicale avec la création de l’Orchestre angevin de musique de chambre. Constitué de vingt-cinq musiciens volontaires de la Société, il propose des concerts gratuits et commentés aux communes rurales, aux écoles et aux entreprises à l’heure des repas. Cette œuvre de diffusion musicale porte ses fruits. Remarquée par André Malraux en 1962, elle le détermine à accorder à Angers une Maison de la Culture. Pour amplifier encore la démocratisation musicale et fixer les musiciens à l’année en Anjou, la municipalité d’Angers et le conseil général décident en 1964 de rendre l’orchestre permanent, grâce à une subvention annuelle de 200 000 F.
Le nouvel orchestre permanent d’Angers, de 28 musiciens, est officiellement présenté lors de l’inauguration, à l’école des Beaux-Arts, de l’exposition « Violons et peintures », le 16 septembre 1964. Un nouveau public est conquis. L’orchestre joue devant 23 000 personnes au cours de cette année 1964. Des concerts gratuits sont donnés au jardin des Beaux-Arts d’Angers. Ce succès ne laisse pas d’impressionner Marcel Landowski, compositeur et ami de Charles Vielle, président de la Société des concerts populaires. Devenu directeur de la Musique au ministère des Affaires culturelles, il propose le 1er février 1967 de créer un orchestre régional à Angers et nomme en juillet un conseiller musical régional, le compositeur Michel Decoust.
Malgré les traditions musicales d’Angers, il fallait cependant composer avec Nantes. Un « orchestre régional » ne pouvait laisser de côté la capitale régionale. Des négociations malaisées s’engagent. L’affaire est retardée par la concurrence de l’orchestre régional Rhône-Alpes et par les événements de mai 1968. De pourparlers en pourparlers, un accord est finalement trouvé pour la réunion des orchestres des deux villes. Une première saison de concerts est donnée en 1969. L’orchestre est définitivement constitué en 1971, composé de deux phalanges autonomes, chacune placée sous la direction d’un chef (Yves Prin pour Angers, Jean-Claude Casadesus pour Nantes). Un troisième chef (André Guilbert) peut suppléer l’un ou l’autre. Pierre Dervaux, premier chef à l’Opéra de Paris, accepte la responsabilité de l’ensemble. Angers obtient le siège du nouvel orchestre et le concert inaugural…
Ainsi naît le deuxième orchestre régional français. Le succès est aujourd’hui bien confirmé : 8 200 abonnés (566 en 1972), un label national depuis 1996, une audience internationale.