Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 247, juin 2001 (texte modifié le 11 février 2011)
L’immeuble de la place Maurice-Sailland, bien connu des Angevins sous le nom de Welcome, aujourd’hui dédié aux retraités et aux réceptions angevines, se présente comme un bâtiment double : une longue construction en façade sur la place, avec toiture en terrasse, accolée en 1930 à un grand immeuble de 1859 dont on n’aperçoit plus que les parties hautes.
En 1838, un certain Théodore Régulier tient un café à l’emplacement de ce grand immeuble, mais la façade de son établissement est tournée vers la rue Saint-Aubin. Le nouveau cafetier François Serin, originaire de Béziers, mentionné dans le recensement de 1856, fait reconstruire l’immeuble en 1859, date portée sur la lucarne centrale du bâtiment, du côté de la place Saint-Martin. Les salles sont ornées d’un riche décor Napoléon III où se trouve encastrée une horloge dont le cadran porte la mention « Café Régulier ». Serin ne s’était pas encore fait un nom. L’ensemble existe toujours, aujourd’hui intégré dans les « salons Curnonsky » (Welcome). François Serin, en homme avisé, réussit à faire de son établissement le café le plus animé et le plus renommé de la ville, bien avant le café Gasnault de la place du Ralliement, ouvert vers 1850, et dont la célébrité sera plus tardive.
Le café Serin
Le Guide Joanne – Itinéraire général de la France, la Loire et le Centre – ne cite-t-il pas, en 1868, comme seul café à Angers, le café Serin, rue Saint-Aubin, « établi dans un magnifique bâtiment avec façade ornementée de briques et précédée, sur la place Saint-Martin, d’une grille et d’un escalier monumental » ? C’est qu’il y avait là salle de concert, de billard, cercle d’échecs et petit théâtre pour l’opérette et la musique bouffe, précisément inauguré en 1868. Le petit théâtre servait de café-concert et pour toutes sortes de spectacles. En juin 1879, M. et Mme Peppino, ventriloques et musiciens, exécutent des extraits d’opéras sur leur matophone, instrument en cristal. En janvier 1880, c’est Ancilloti, Samson moderne, qui donne une séance de tours de force. Il se produit quelques jours après rue du Quinconce, aux Folies angevines, également propriété du cafetier Serin et prévient qu’il fera « des exercices beaucoup plus difficiles, ayant un plus grand espace à sa disposition et n’ayant pas le public aussi près de lui ».
Autre témoignage, non des moindres, celui de l’écrivain américain Henry James, en voyage en France en 1877 (A little Tour in France, chapitre 14) : « Je n’ai pas d’autre souvenir d'Angers, à part le vieux café Serin, curieux établissement où, après avoir dîné à l'auberge, j'allai attendre le train […]. Le café Serin est remarquable par sa grande taille et son ambiance de splendeur passée, ses dorures ternies et ses fresques noircies par la fumée, ainsi que par le fait qu'il se dissimule au deuxième étage d'une maison sans prétention […]. Il ressemble peu à un endroit où l'on s'arrête mais, une fois qu'on l'a trouvé, il s'impose avec la cathédrale, le château et la maison d'Adam comme l'un des monuments historiques d'Angers ».
Pressenti pour la nouvelle poste...
Des publicités, parues en 1880 dans le Journal de Maine-et-Loire, donnent d’autres précisions, car le café n’a pas laissé d’archives : « Grand café Serin, Ed. Hubert, successeur. À partir du 1er juin : glaces, sorbets, tous les soirs. Terrasse réservée pour familles. Entrée place Saint-Martin ». Édouard Hubert n’est probablement qu’un gérant. Les Serin restent propriétaires. En 1886, le café manque d’être emporté par le projet de reconstruction de l’hôtel des Postes. Retenu pour son importance et ses trois entrées (rue Voltaire, place et rue Saint-Martin), il fait partie des projets soumis au conseil municipal. Cependant les différences de niveau le desservent, tout comme sa situation, dissimulée de tous côtés par des maisons. La Poste s’agrandit finalement à son emplacement originel, place du Ralliement. C’est seulement en 1937 qu’elle s’installe place Saint-Martin, mais face à l’ancien café, devenu le Welcome.
A partir de 1890, le café a le même gérant que le cercle du Progrès, dont il prend le nom. Le cercle, installé au rez-de-chaussée, compte rapidement plus de cinq cents membres. Ses nombreuses soirées de divertissement sont très suivies. Le cercle est dissout en 1902, tandis que le gérant continue l'exploitation du café "du Progrès". Vers 1905, les Serin, toujours propriétaires des locaux, cèdent l’établissement au gérant, François Gazeau. Le café du Progrès s’enorgueillit toujours des boiseries et glaces de l’ancien café Serin. L’entrée se fait au 18 rue Saint-Martin. Le rez-de-chaussée du bâtiment abrite l’imprimerie Hudon jusqu’en 1927, tandis qu’à la place du futur Welcome se trouve un marchand de charbon.