Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 279, mai 2004
L’immeuble des Galeries Lafayette, vers le Ralliement, était jusqu’en 1919 occupé par le Grand-Hôtel. Une galerie, le passage Moirin, le traversait, de la rue d’Alsace à la rue Saint-Denis : ancêtre des galeries commerciales des hypermarchés.
1879 : la place du Ralliement n’est pas encore achevée. L’angle de la rue Saint-Denis forme une saillie peu agréable avec des immeubles hétéroclites. Entre en scène François Moirin : ancien plâtrier devenu architecte et même promoteur. Partout il œuvre pour l’embellissement de la ville.
« J’ai étudié un vaste projet d’ensemble, écrit-il au maire le 17 février 1879, c’est-à-dire une seule et même façade comprenant à la fois la rue d’Alsace, la place du Ralliement et la rue Saint-Denis. Cette façade aurait selon les conditions déjà imposées par la ville les mêmes lignes que la maison Berthault , mais d’un caractère plus sévère […]. Le centre de cette construction sur la place serait occupé par un vaste café et le surplus par un hôtel, […] ce qui le mettrait au centre des affaires et centraliserait en même temps la place du Ralliement ».
L’immeuble doit enserrer une construction projetée par les Renault-Lihoreau, à l’angle de la rue d’Alsace. Le seul achat des constructions existantes nécessite une dépense de 86 500 F… Pour faciliter l’exécution de l’achèvement de la place et payer les terrains employés à l’élargissement de la voirie, le conseil municipal du 7 mars vote à Moirin 25 000 F d’indemnité.
Un superbe ensemble
Le 9 août 1879, les époux Renault-Lihoreau vendent au pharmacien Émile Giffard l’immeuble en cours de construction à l’angle de la rue d’Alsace . Ce dernier note : « La construction a commencé les premiers jours d’avril 1879 et fut terminée pour la Saint-Jean 1880. Ces mêmes jours, la pharmacie y fut installée, ainsi que Ruby pour sa confiserie. Le 1er étage était affermé ; nous prenions possession du 2e et M. Moirin, architecte, louait le 3e étage pour le Grand-Hôtel qu’il commençait à bâtir autour de notre maison, sur le même style, comme c’était convenu entre nous ».
La construction du Grand-Hôtel débute en juillet 1880. Les conditions de sécurité sur le chantier ne sont pas celles que l’on connaît. Le 31 mars 1880, un ouvrier ravaleur s’était tué en tombant du troisième étage de l’immeuble Giffard. Le 13 décembre, nouvel accident mais sans victimes : un mur intérieur s'écroule cinq minutes après le départ des ouvriers… Deux mois après, un plâtrier a le crâne ouvert par une « tuile ». Les travaux s’achèvent sans nouvelles péripéties. Le Grand-Hôtel ouvre en 1882, cédé par Moirin à Dran, qui constitue une société par actions. Premier immeuble d’Angers doté d’un ascenseur, tout un confort jamais vu en Anjou s’y déploie. Un dépliant de 1895 indique qu’il « justifie surtout son titre par son installation luxueuse et l’importance de ses services : table d’hôte, restaurant, salles de fêtes, vastes salons, ascenseur, téléphone ». Ajoutons-y l’électricité dès 1898, grâce à une centrale électrique propre. Quant à la façade, elle arbore neuf superbes cariatides allégoriques (disparues dans les ravalements des années 1960), où l’artiste angevin Charron s’est surpassé.
Commerces de premier choix
Le 8 avril 1882, Ambroise Chottin, un cafetier inventif - il entraîne le pharmacien Giffard vers la profession de liquoriste - inaugure son « café du Grand-Hôtel et du Passage ». Troisième élément complétant ce bel ensemble : le passage Moirin. Entre la pharmacie et la confiserie Ruby, rue d’Alsace, s’ouvre cette galerie commerciale. À mi-parcours, une rotonde octogonale décorée de peintures par Fernand Lutscher, professeur à l’école des Beaux-Arts, donne sur le café du Grand-Hôtel. Le passage rejoint ensuite la rue Saint-Denis.
Les commerces n’y sont pas nombreux – cinq avec le café – mais de premier choix. L’épicerie fine Guyardeau, « Aux Gourmets », propose aussi bien produits alimentaires et conserves que confiserie « surfine », pâtisserie, vins et liqueurs et parfumerie. Le promeneur trouve ensuite le fabricant de pipes Bellanger, la papeterie-imprimerie Viau et surtout les étalages profus de « La Grande Jatte », « maison spéciale de faïences, d’objets de luxe, porcelaines et cristaux, la plus importante de la région de l’Ouest », annonce-t-elle en 1892.
Éphémère galerie ! Le succès du Grand-Hôtel cause sa ruine. Après avoir annexé toutes les parties qu’il n’occupait pas dans les étages, l’hôtel engloutit le passage Moirin en 1896. Une partie est incorporée au café. La rotonde et le reste sont transformés en salle des fêtes et en théâtre de la Bodinière, où l’Angevin Charles Bodinier organise des spectacles sur le modèle de son théâtre parisien du même nom. Pour peu de temps. C’est ensuite le théâtre, puis le cinéma des « Fantaisies angevines ».
Mes remerciements à M. Giffard pour la communication de ses archives.