Un professeur Tournesol angevin : Ernest Bazin, génie de l'invention

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 299, mars 2006

L’auteur de la dynamo, Zénobe Gramme, qui travailla au service de l'Angevin Ernest Bazin, l’appelait « l’inventeur perpétuel ». De son côté, Oscar Colson écrivait en 1913 dans sa vie de l'inventeur Gramme, à propos d'Ernest Bazin : "Cet esprit curieux, à l'imagination inépuisable et qui sut réaliser en une période de temps assez courte toute une série d'inventions merveilleuses, offrit à Gramme un excellent exemple de ce que peut l'ingéniosité servie par une forte instruction technique".

Fils de Nicolas Bazin, greffier en chef du tribunal de première instance, Ernest naît à Angers le 4 mai 1826. La famille Bazin possède une propriété près de Segré, à Marans, nom qui évoque l’écrivain René Bazin, son petit-neveu Hervé Bazin et Vipère au poing… De fait, Ernest Bazin est l’oncle de René.

Attiré par la mer

Très tôt, Ernest montre du goût pour les sciences. Les biographies lui donnent le titre d’ingénieur civil, mais on ne sait où il fit ses études. Ce ne fut pas, en tout cas, à l’école des arts et métiers d’Angers où les registres des élèves ne le mentionnent pas . Captivé par la navigation, il s’embarque dans la marine marchande et devient capitaine au long cours. Mais tout en parcourant l’océan Indien, il étudie la locomotion maritime, qui sera sa première et sa dernière préoccupation. Rentré à Angers en 1851, il dépose le 7 juillet un brevet pour une machine aérienne dirigeable qu’il expérimente à Marans, sans grand succès. Après avoir inventé l’anémotrope pour régler la force des vents sur les aérostats, il concentre ses recherches sur des applications industrielles, d’autant que le voici responsable des forages miniers du bassin de Mons.

Chapelets d’inventions

Son génie inventif éclate en véritable feu d’artifice : lit pneumatique primé en 1858 à Angers ; presse à briques, lampe de sûreté pour les mines, sphère rotative à double mouvement, alarme pour wagon à voyageurs présentée à l’exposition de Nantes en 1861 ; lochomètre automatique breveté en décembre 1862 pour mesurer la vitesse d’un bateau ; ingénieux métier à filer le chanvre et l’aloès qui lui vaut la Légion d’honneur…

L’électricité le passionne. Il est le premier à concevoir une charrue électrique, puis une machine à rhabiller les meules, un coupe-légumes, un rasoir à calorique permanent, un moteur électrique, un fusil électrique… Sa perforeuse circulaire et tubulaire, améliorée par Germain Sommeiller, sert au percement du tunnel du Mont-Cenis.

À Angers, il constitue une société pour électrifier les ardoisières. Les expériences réalisées à la carrière de la Paperie, du 1er au 10 septembre 1863, avec l’aide de l’ingénieur Gramme, sont concluantes : “Tout Angers put voir alors l’avenue et le jardin du Mail éclairés la nuit, comme en plein midi, par le rayon éblouissant de l’incandescence électrique, pendant que d’autres, dont nous étions, plongeaient dans l’obscurité du sol pour pénétrer sous la voûte de la Paperie féeriquement illuminée” (Souvenirs de Jules André, Journal de Maine-et-Loire, 6 février 1898). Mais Bazin a les dents trop longues. Ses prétentions financières font capoter l’affaire.

En 1870, il participe à la défense de Paris, installant au moulin de la Galette un phare pouvant fouiller à des kilomètres à la ronde les lignes allemandes encerclant Paris. Grâce à lui, les Prussiens sur le point d’envahir la presqu’île de Gennevilliers sont démasqués.

Après la guerre, il joue à « Vingt mille lieues sous les mers » en Espagne, où on lui demande d’extraire de la baie de Vigo le chargement des galions engloutis en 1702. Notre inventeur utilise là toutes ses trouvailles : la cloche à plongeur, la lampe électrique pour éclairer perpendiculairement le fond de la mer, l’extracteur pour désenvaser les navires, le monte-charge pour ramener les objets.

Une révolution pour la navigation

Mais la grande affaire de sa vie, qui engloutit d’énormes sommes d’argent, est celle du bateau rouleur, dont il parle dès les années 1880. En 1893, il crée une société par actions baptisée « Navire-express-rouleur-Bazin »… Mis en chantier en juillet 1895 dans les chantiers Cail, à Saint-Denis, l’Ernest-Bazin est lancé sur la Seine, le 19 août 1896. Propulsé par hélice, il est perché à six mètres au-dessus du niveau de l’eau sur une plate-forme supportée par d’énormes roues flotteurs, actionnées par des moteurs. Le navire doit littéralement rouler sur l’eau, sans glisser, en donnant très peu de frottement, d’où une économie d’énergie pour une vitesse plus importante que celle d’un bateau ordinaire. Mais ce « singulier monument aquatique » (revue La Nature, 1896) ne donne pas satisfaction lors des essais menés en pleine mer au large du Havre et en Angleterre, à l’été 1897. Le bateau rouleur se révèle instable. Sa vitesse est décevante. Par deux fois, il doit avoir recours aux services d’un remorqueur.

Au même moment, l’Américain Chapman, pillant sans doute certaines idées de Bazin, imagine un navire un peu semblable, sans succès… Ernest Bazin meurt le 18 janvier 1898. Conclusion de la Revue de l’Anjou, en avril 1899 : « On a mis en vente, à Liverpool, le fameux bateau-rouleur de notre compatriote Ernest Bazin. […] La mise à prix ne dépassait pas la valeur des matériaux de construction. Personne ne s’est présenté à l’adjudication ».

Ernest Bazin aura malgré tout rendu de grands services à la science et à l’industrie.