Raoul Lemaire... pionnier du bio

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers et Agnès Janssens, stagiaire de l’université en master 2 Archives

Vivre à Angers n° 314, juillet 2007

Raoul Lemaire, biologiste-généticien, né en 1884 dans la Somme, homme de terrain au franc-parler, reste célèbre pour avoir fondé la culture biologique avec le lithothamne, une algue marine pêchée dans l’archipel de Glénan, connue aussi sous le nom de maërl. Engagé et visionnaire, il dénonce avant tout le monde la pire des pollutions, celle des sols, ravagés par une agriculture chimique.

Réputé depuis longtemps pour ses obtentions de blés à haute valeur boulangère, fidèle à la devise « supériorité dans la qualité » qui a toujours été la sienne, il lance la culture biologique dès 1960 avec ses fils Jean-François et Pierre-Bernard, grâce à l’algue lithothamne dont il vient de découvrir les propriétés. Pour favoriser son développement, le Service des Ventes des Blés Lemaire, 3 rue du Parvis-Saint-Maurice à Angers, qui assurait la commercialisation des semences de ses obtentions, est transformé en société. Plusieurs filiales naissent pour offrir aux consommateurs une large gamme de produits garantis « biologiques » : farines, biscottes, pain, vins, légumes, chocolat…

La méthode Lemaire-Boucher

En 1963, sa rencontre avec le professeur Jean Boucher, spécialiste de l’humus et du compostage, lui permet d’affiner la première technique agrobiologique mise en oeuvre : la méthode Lemaire-Boucher, excluant engrais chimiques et produits de synthèse, est née. Elle repose sur quatre points essentiels : l’utilisation du lithothamne comme fertilisant régénérateur, l’utilisation des semences de blés Lemaire, le compostage de la fumure organique et les associations végétales. Dès lors, la société SVB Lemaire connaît une expansion si grande que le siège social de la société déménage en 1967 dans des bureaux plus vastes à Saint-Sylvain-d’Anjou.

Pour promouvoir la méthode, une caravane Lemaire sillonne toute la France, de foires en marchés. Elle informe consommateurs et agriculteurs sur les dangers des engrais chimiques et les renseigne sur la gamme d’amendements au lithothamne commercialisée par la société. Dans le même esprit militant, les fils Lemaire, Jean Boucher et de nombreux autres collaborateurs animent des tournées nationales de conférences sur l’agriculture biologique, qui rencontrent de francs succès.

Des services spécialisés sont développés pour répondre à toutes les demandes : experts agronomiques pour une assistance gratuite sur le terrain, service vétérinaire fondé sur l’aromathérapie, mensuel « Agriculture et Vie » à partir de mars 1964, cours d’agrobiologie par correspondance, visites de cultures organisées régulièrement dans les « fermes témoins » réparties sur tout le territoire.

« Pour vivre en bonne santé, vivons bio »

Après la disparition de Raoul Lemaire, le 19 novembre 1972, les services de la société Lemaire continuent à prendre de l’ampleur, pour devenir des sociétés commerciales à part entière, qui travaillent toutes en étroite collaboration. Phytovet se charge des produits biothérapiques à utiliser lors de la reconversion à la culture biologique. Actisol commercialise l’outillage agricole spécialement conçu pour le travail du sol. Compost et Humus Boucher fabrique et diffuse les composts de la méthode Lemaire-Boucher, tandis que Mon Jardin Sans Engrais Chimique s’occupe du secteur jardinage. Lemaire Agriculture organise la vente de tous les fertilisants biologiques et activateurs microbiens fabriqués par l’usine Algofertyl de Lorient.

Mais ce succès inquiète les tenants de l’agriculture conventionnelle et tout particulièrement ses gros fournisseurs d’engrais et de pesticides chimiques. Les chambres d’agriculture engagées vers l’agriculture intensive fustigent les pratiques de l’agriculture biologique. Cette réussite provoque aussi des jalousies. Sans cesse, le groupe est contraint d’attaquer ou de se défendre en justice pour des affaires de concurrence déloyale, de plagiat et surtout de contrefaçon.

Afin de se démarquer de ses concurrents, la société crée en 1973 son propre cahier des charges, détaillant les critères qualitatifs de production. Les agrobiologistes sous contrat qui choisissent de respecter le cahier des charges obtiennent le droit d’utiliser les marques « Production de la méthode Lemaire-Boucher » et « Production Terre-Océan ». Encore une fois, la réussite est au rendez-vous, permettant au groupe Lemaire de s’étendre au-delà des frontières, en Italie et au Bénélux, où la méthode fait de plus en plus d’adeptes.

L’agriculture biologique est officiellement reconnue en 1981 et ses règles définies. Les associations étant seules habilitées à présenter un cahier des charges à l’homologation, celui de la méthode Lemaire-Boucher, emmené par la société SVB Lemaire, entreprise commerciale privée, ne peut être présenté. S’inspirant du travail et des investissements déployés pendant près de vingt ans par la société Lemaire, une dizaine d’associations présentent le leur avec succès. L’agriculture biologique voit sa crédibilité renforcée et prend peu à peu la place que lui demandent les consommateurs. Aujourd’hui quatre Français sur dix mangent bio au moins une fois par mois, sept sur cent tous les jours...

Article rédigé par Agnès Janssens, stagiaire de l’université en master 2 Archives et Sylvain Bertoldi, avec la collaboration de Jean-François Lemaire, qui vient de donner l’ensemble des archives du groupe Lemaire aux Archives municipales d’Angers.