Promesses d'une île : Saint-Aubin

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 318, décembre 2007

Triangle de verdure de six cents hectares, l’île Saint-Aubin est née de la confluence entre Mayenne et Sarthe, dont la réunion forme la Maine, et d’un bras de la Mayenne appelé « la Vieille Maine », qui relie ces deux rivières au nord. Troisième zone humide de France, après la Camargue et le Marais poitevin, l’île est un miracle d’équilibre biologique.

Au coeur des cinq mille hectares de prairies humides des basses vallées angevines, l’île Saint-Aubin constitue l’une des principales zones d’Europe occidentale pour le repos des oiseaux migrateurs. C’est aussi une zone de nidification pour dix-huit espèces d’oiseaux - dont le râle des genêts protégé - et de reproduction piscicole : la plus importante de la basse vallée de la Loire pour brochets et anguilles.

 

Donnée à l’abbaye Saint-Aubin

L’île, qui joue le rôle d’écrêteur de crues pour la grande ville distante de 3 kilomètres, est un écosystème exceptionnel fondé sur le fauchage et la pâture sur regain (deuxième herbe), fruit d’un long travail de l’homme. Lorsque le comte d’Anjou Geoffroy Grisegonelle l’attribue en douaire à son épouse Adèle de Vermandois, l’île du Mont - tel est alors son nom - n’est que bois et marais. En mars 978, la comtesse Adèle la donne à l’abbaye Saint-Aubin qui va en faire l’une de ses plus riches dépendances. Les moines défrichent, font creuser des canaux, construire une digue le long de la Sarthe et deux portes, sortes d’écluses qui retiennent, aujourd’hui encore, le niveau des eaux jusqu’à 2,20 mètres.

Plus d’une fois, la possession de « Tirimont  » est contestée à l’abbaye. C’est que les marais sont devenus de fort belles prairies… affermées à bon prix, de même que les pêcheries, la chasse et le port : plus d’un quart des revenus de l’abbaye ! On vient de loin pour profiter des plus gras pâturages de l’Anjou : en 1747, les fermiers de l’île résident entre Tiercé, Saint-Léger-des-Bois et Angers.

 

Un modeste prieuré dédié à Saint-Hilaire avait été créé sur le « mont », sans doute au XIe siècle. La vie conventuelle n’y est pas pratiquée très longtemps. À la fin du XVIe siècle, un moine chapelain vient simplement dire la messe deux fois par semaine dans le modeste oratoire bâti au XIIe siècle. La maison d’habitation, au fond d’une cour carrée ouverte vers le nord, est reconstruite au XVIe siècle. Les deux autres côtés de la cour, à usage de ferme, sont rebâtis vers la fin du XVIIe siècle. Au-delà d’une vaste pièce de terre se trouve la « grande estable des granges ». Ce sont là toutes les constructions de l’île avec la maison-guinguette du passeur rebâtie en 1775. Petit ajout au XIXe siècle d’un four à chanvre le long du jardin de la ferme : une dizaine d’hectares de chanvre sont en effet cultivés le long de la Vieille Maine pour les usines Bessonneau.

Toujours en arpents au XXIe siècle

Les domaines de Saint-Aubin « la riche » deviennent biens nationaux à la Révolution et sont vendus aux enchères. Afin d’avoir des revenus sans créer d’impôts, la municipalité d’Angers se fait adjuger l’île le 4 janvier 1791 pour l’énorme somme de 720 100 livres. Hélas ! Elle ne peut la payer. L’île, rebaptisée « Haute Verte », divisée en parcelles d’un arpent pour avantager un grand nombre de citoyens, est revendue à plusieurs dizaines de propriétaires de novembre 1794 à janvier 1795. Un arpent - 6 600 m2 - pouvait entretenir un cheval pendant un an. Depuis, malgré le système métrique, on compte toujours en arpents sur l’île, cas peut-être unique en France… Ces propriétaires sont obligés de s’organiser : le 16 février 1825, Charles X signe un édit - toujours en vigueur - créant un syndicat chargé de l’exécution des travaux de défense de l’île contre les crues. La dépense est répartie entre les propriétaires. Un vacher est employé.

 

À l’été 1899, les bâtiments de l’ancien prieuré - maison d’habitation et chapelle - sont démolis et remplacés par une maison nouvelle. Quelques traces de la chapelle restent visibles du côté du jardin. L’activité de fauchage reste rentable jusque dans les années 1970. En 1989 en revanche, le prix de l’hectare atteint à peine 4 000 francs : sur ce dernier territoire agricole d’Angers, le taux d’imposition est près de trois fois supérieur à celui des communes rurales et l’herbe ne se vend plus, sauf en période de sécheresse.

Pour éviter que cet exceptionnel patrimoine vert ne devienne friche ou gigantesque peupleraie, la Ville décide en novembre 1976 d’y créer une zone d’aménagement différé. Elle peut ainsi préempter les terrains mis en vente et devient propriétaire d’une quarantaine d’hectares avec notamment l’acquisition de la ferme en 1994. Elle achète également les bacs et supprime les droits de passage. De leur côté, la fédération de chasse et l’Ablette angevine acquièrent quelque deux cents hectares. Huit hectares de frayères sont entretenues. La municipalité annonce en 2000 son projet de valorisation de l’île pour en faire une zone de loisirs d’usage modéré : sentiers d’interprétation, transformation de la ferme en lieu d’animation, d’exposition et de séminaires. En juin 2008, cet observatoire de la faune et de la flore ouvrira au public. Laissez-vous séduire par les promesses d’une île.