Les trois "G" de la chocolaterie angevine

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 285, décembre 2004

Boisson aristocratique apparue en France en 1615 avec Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne, le chocolat met longtemps à s’imposer. À Angers, c’est dans la première moitié du XIXe siècle seulement que les confiseurs s’en emparent : Antequera et Gaucher sont les premiers à être signalés comme chocolatiers par l’Annuaire de Maine-et-Loire, en 1847.

Qui disait confiseur disait aussi liquoriste. La chocolaterie Gaucher naît d’un confiseur-liquoriste, Fricot, venu du Maine s’installer en 1778 dans le quartier « chic » du commerce angevin, rue Saint-Laud, à l’emplacement de l’actuel Boléro. Deux générations de Fricot se succèdent jusqu’à ce qu’Étienne Fricot vende son commerce au 1er janvier 1814 à Amand Aimé Ganereau père . En 1838, Ganereau fils cède le fonds à son employé Émile Pertué, mais celui-ci ne s’attarde pas à Angers : à 28 ans, le 16 avril 1845, il revend sa confiserie à Alexandre Gaucher, d’une famille de douze enfants originaire de Pellouailles.

Il n’est pas encore question de chocolat, mais Alexandre Gaucher a dû apprendre cette partie à Paris, au cours de son apprentissage en 1843-1844 et peut-être aussi au Mans, chez Godefroy, rue Saint-Jacques, où il est ouvrier confiseur au début de 1845. D’un seul ouvrier confiseur, il passe à deux, sans doute pour se mettre à fabriquer du chocolat. Avec les demoiselles de boutique et les domestiques, il emploie six personnes en 1851. Ses produits sont récompensés de médailles d’argent et de vermeil aux expositions d’Angers en 1858 et 1864.

La « Chocolaterie angevine » d’Alexandre Gaucher

Le développement de ses affaires le pousse à s’installer vers 1865 au 73 rue Saint-Aubin, à l’angle avec le boulevard de Saumur (Maréchal-Foch actuel), dans un ancien hôtel particulier, où il fait construire magasin et fabrique de chocolat moderne avec usine à vapeur. Le 10 novembre 1866, il dépose au tribunal de commerce trois marques destinées à ses chocolats : « Chocolat du Progrès », « alimentaire perfectionné » et une marque générale, « Chocolaterie angevine, A. Gaucher, à Angers ».

S’il a le chagrin de perdre son fils aîné, prénommé comme lui Alexandre, sa fille aînée Léontine épouse le 15 avril 1873 Émile Gautron, dont le père est négociant en vins et liquoriste quai Ligny. Alexandre Gaucher décède le 12 août 1874. Sa veuve poursuit le commerce jusqu’au 1er mars 1881.

De nouvelles spécialités avec Gaucher-Gautron

Le fils cadet Fernand et le gendre, Émile Gautron, s’associent alors pour reprendre le fonds, évalué à 164 530 F. L’inventaire dressé à cette occasion permet de connaître par le menu la consistance du commerce, de détail et de gros. Qu’on en juge ! Les placards renferment plus de 75 000 étiquettes, le magasin de cartonnages plus de 57 000 emballages et objets : boîtes, coffrets, animaux bonbonnières, ronds d’assiettes, « enveloppes cosaques »… Dans les caves sont stockés 2 348 kg de cacaos, 338 kg de gommes assorties, 4 401 kg de sucres divers, 100 kg de pâte d’abricot, 3 403 litres de liqueurs variées…

Les associés consacrent d’abord leurs efforts au guignolet, puis l’accent est mis sur le chocolat, avec une « délicieuse nouveauté », inspirée de l’alliance franco-russe : les kalougas , bonbons au chocolat. « Les bonbons et les chocolats de la maison Gaucher-Gautron, la plus importante de la région », note le dépliant Angers, son exposition, ses monuments en 1895, « font les délices des Angevins et sont réputés partout ; ses caramels au chocolat et aux fruits, ainsi que ses kalougas sont tout particulièrement appréciés ». Mais Léontine Gautron meurt en 1893, Émile en 1898. Les héritiers Gaucher survivants cèdent l’entreprise à Marcel Genteur, le 21 novembre 1898.

Une bonne odeur de chocolat…

L’activité se poursuit, récompensée d’une médaille d’argent à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Comme le magasin devait être tentant ! « Carolines chocolat, cerises fondant rose, soufflés chocolat, truffes, fours amandes pistache, caramels… », que choisir ? Lorsqu’il revenait de l’école par la rue Saint-Aubin, René Rabault n’avait d’yeux que pour la « très distinguée vitrine des chocolats Gaucher ». « Des camarades avisés entraient par la porte arrière dans la petite usine où les machines faisaient « floc-floc » en crachotant crottes, pralinés et autres merveilles. Ils achetaient les « cassés », les « manqués », aussi savoureux que les « réussis » (Angers naguère).

La bonne odeur de chocolat disparaît de la rue Saint-Aubin avant le 1er février 1929, remplacée par l’activité inodore du Crédit Lyonnais…, pour s’envoler au 30-34 rue Larévellière où Genteur transporte ses fabrications, tandis que le magasin de détail s’installe au 21 rue d’Alsace (actuel magasin "Un jour ailleurs"). L’entreprise ferme à la suite des restrictions de la seconde guerre mondiale, peut-être dès 1940, et le magasin en 1943. Genteur avait soixante-dix ans, mais le chocolat n’est-il pas roboratif ?