Les mille et une vies de la "grant maison des Halles"

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 262, décembre 2002

L’hôtel de ville construit voici presque cinq siècles place des Halles (actuelle place Louis-Imbach), au cœur du quartier commerçant d’alors, a connu une longévité étonnante, et une histoire digne d’un roman d’Alexandre Dumas.

Tout commence en 1527 lorsque les échevins d’Angers décident de transformer en hôtel de ville la « grant maison des Halles », au haut de la seule véritable place située à l’intérieur des fortifications, où se trouvent les halles depuis le XIIIe siècle. Ils y emménagent dès 1529. Le bâtiment est terminé en 1541, par la construction d’un magnifique portail-porche, de style flamboyant-Renaissance.

Avec sa grande salle, sa chapelle et sa tour de l’horloge élevée sur une arcade servant d’entrée à la place, l’hôtel de ville « peut passer pour l’un des plus beaux édifices du royaume », écrit un voyageur en 1771. On a peine à imaginer aujourd’hui, sous les façades ingrates de l’aile du Muséum, la splendeur du bâtiment de jadis. En 1685, la construction avait été complétée d’une aile, celle qui ferme le U actuel sur le boulevard Carnot, pour loger le maire et le trésorier. Elle ouvrait sur des jardins, ornés du buste de Louis XIV, inauguré en 1686.

Cour d'appel


Le début du XIXe siècle apporte de grands changements. L’ouverture de la rue Botanique en 1809 emporte les jardins. La Ville doit surtout restaurer son hôtel, délabré. Mais la réorganisation judiciaire de l’Empire ne lui en laisse pas le temps : désignée pour recevoir une cour d’appel, Angers doit trouver de nouveaux locaux pour les cours, en plus des bâtiments déjà existants place des Halles. Le préfet propose d’annexer l’hôtel de ville tout proche, et l’obtient en 1818 après dix ans de discussions : le tribunal civil s’y installe en 1826, année de la réfection des façades telles qu’elles existent encore, dans le style plat de l’époque, tandis que la mairie est transférée à son emplacement actuel, dans l’ancien collège d’Anjou.

En 1838, la cour d’assises est transférée dans un nouveau bâtiment, construit face au tribunal civil, le long de la rue Botanique, sur les plans de l’architecte Lachèse. De cette époque date le plan en U de l’édifice actuel. Cet aménagement lui-même ne satisfait pas très longtemps, puisque, dès 1854, un nouveau palais de justice est envisagé place du Champ-de-Mars. La construction traîne en longueur. Les services de la cour d’appel ne s’y installent qu’en octobre 1885 et l’ancien palais fait retour à la ville en 1886.

Halle au blé ?


Qu’en faire ? Aucun embarras ! Très vite, les locaux deviennent une véritable fourmilière, servant à la fois de maison des associations, des syndicats, d’hôtel de la mutualité, de musée, de bibliothèque, de lieu de répétition musicale…, tandis que les boutiques de la rue Botanique sont affectées à un commissariat de police, à une halle au blé provisoire et surtout à des commerces. Les collections paléontologiques sont disposées en 1890 dans l’ancienne salle du conseil municipal. En face, la Bourse du travail est inaugurée le 24 avril 1892. La démolition des anciennes halles du Moyen Âge en 1896 provoque plusieurs projets avortés de création d’une vaste halle au blé dans la cour, couverte d’une toiture de verre.

Innombrables cohabitations


Ce ne sont pas les seuls que connaissent ces bâtiments, si convoités : transfert de l’école primaire supérieure et de l’école régionale des Beaux-Arts, musée d’art industriel, musée d’histoire naturelle… Quant à l’utilisation tous azimuts des lieux, on en aura une idée en énumérant quelques-uns des locataires au début du XXe siècle : école de Couverture, certains cours de l’école des Beaux-Arts, école de Coiffure, Espéranto, herbier Lloyd, Amis des Arts, Société des études scientifiques, Université populaire, bibliothèque populaire (à partir de 1914), Fourneaux économiques, magasin pour la voirie, Musique municipale, Angers-Fanfare, Clairons des Sauveteurs angevins… Pas étonnant que la Bourse du Travail se plaigne du « tapage forcé » qui l’empêche de tenir ses réunions ! Les problèmes de cohabitation sont innombrables : en 1897, l’épouse du pasteur Andrat, profitant d’une salle accordée à son mari, organise « des réunions de femmes qui chantent des cantiques toute la journée »… D’autres utilisations sont plus inusitées : l’herboriste J. Levieux fait sécher tilleul et plantes médicinales dans les greniers…

Ces locataires quittent peu à peu le navire, passablement dégradé d’ailleurs, au profit de la Bourse de Travail, qui doit malgré tout demander un baraquement dans la cour. En 1948, le péristyle d’entrée est démoli pour éviter les accidents. Le Courrier de l’Ouest note : « Cette destruction qui défigure la façade (ce péristyle en constituait la seule élégance) n’est pas définitive. On reconstruira… ». La Bourse du travail reçoit de nouveaux locaux en 1984. On loge à sa place certains cours de l’université, transférés depuis octobre 2000 sur le nouveau campus de Saint-Serge.

La nature a horreur du vide… Aujourd’hui, la Ville y installe ses Ressources humaines, à l’étroit rue Chevreul. Une cinq centième affectation pour ces bâtiments au passé déjà bien chargé ?