Leçon d'histoire dans un parc : Saint-Nicolas

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 312, mai 2007

Mise à jour : 28 juin 2022

Il n’est pas d’endroit plus pittoresque à Angers, et même en Anjou, que le parc de l’étang Saint-Nicolas qui ondule le long de la retenue d’eau du Brionneau. C’est l’un des poumons d’une ville qui ne manque pas de grands espaces verts.

L’étang est dû à Foulque Nerra. Avant 1020, sur le plateau surplombant la vallée du Brionneau, petit ruisseau prenant sa source à La Pouëze, le comte d’Anjou installe quelques moines dans une abbaye dédiée à saint Nicolas et leur attribue les terres adjacentes. En même temps, il fait élargir le lit du Brionneau, transformé en étang grâce à une jetée pourvue de moulins. Vers 1040, son fils Geoffroy Martel donne l’étang à l’abbaye.

Pieux pour échalas, terre pour hortensias

Vers 1178, une maison de l’ordre de Grandmont (en Limousin), transformée en prieuré en 1317, s’installe en amont. Surgissent alors quelques problèmes de cohabitation avec l’abbaye Saint-Nicolas à propos du poisson de l’étang. Sur ses rives s’affairent pêcheurs, carriers, blanchisseurs, meuniers. L’eau sert à rouir chanvres et lins, à faire tourner les roues de pierre des trois moulins à céréales de la chaussée de Brionneau, à blanchir les toiles, à laver le linge…

Avec le développement de l’horticulture angevine au XIXe siècle, la terre des rives de l’étang, du côté de Belle-Beille - légère terre de bruyère imprégnée d’oxyde de fer - est très recherchée pour faire bleuir les hortensias. Le schiste a longtemps été exploité, spécialement le schiste esquilleux débité en pieux pour tuteurs et échalas de vigne. De nombreux « trous » subsistent, notamment dans le parc des Carrières qui porte bien son nom.

Au fil du temps se dessinent plusieurs ensembles sur les rives de l’étang. Un document de 1640 fait apparaître « la Garenne », ensemble de terres, rochers et buissons proche de l’abbaye, d’où le nom de cette portion du parc. Vers l’amont se trouve le parc des Carrières, puis celui de la Haye, du nom du prieuré propriétaire de cette partie. Plus tard, le rocher situé en face est baptisé « Notre-Dame-du-Lac ». Un gardien de chèvres y avait trouvé vers 1830 une petite statue de la Vierge, qu’il avait placée dans une niche du rocher. Un oratoire y est élevé en 1931. C’est enfin en aval, pour terminer la boucle autour de l’étang, le parc dit de Belle-Beille, du nom d’une petite ferme. De ce côté est aménagé en 1876 le stand de tir des casernes angevines, sur 400 mètres de longueur. Ses hauts murs sont toujours visibles.

Un nouveau parc municipal

En 1791, l’étang et les terrains riverains sont vendus comme bien national à différents propriétaires. Vers 1930, une quinzaine de propriétaires se partagent le site. Les religieuses du Bon-Pasteur, installées dans l’ancienne abbaye Saint-Nicolas, louent le parc de la Garenne comme promenade, lieu de procession et pâture à moutons. Depuis 1884, la famille de Farcy possède l’étang et la chaussée de Brionneau où Maurice de Farcy a créé un vaste atelier pour étudier les moteurs de bateaux et d’automobiles.

Mais, depuis 1886, la Ville médite d’acheter l’étang Saint-Nicolas. Premier acte en 1932 : le conseil municipal demande le classement du lieu au rang des sites pittoresques. Deuxième acte : l’acquisition de l’étang le 1er mai 1934, suivie par celle du parc de la Garenne en 1936. Cette même année, le classement parmi les "sites et monuments naturels de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque" est obtenu par arrêté du ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts du 4 mai. Un chapelet d’achats se poursuit jusqu’en 1940 de façon à créer une promenade publique sur tout le pourtour de l’étang.

On est donc surpris de voir le projet d’extension d’Angers, déclaré d’utilité publique en 1936, comporter un boulevard de ceinture nord qui enjambe l’étang par un pont pour atteindre la route de Nantes. Boulevard et pont sont encore prévus en 1947, puis abandonnés. Dès 1936, le grand paysagiste René-Édouard André - dont le père a donné les plans du jardin des Plantes - est chargé de l’aménagement du parc de la Garenne. En l’espace d’une quinzaine d’années, malgré la guerre, tout un réseau d’allées est tracé, un tunnel est percé en 1938. Le parc est ouvert au public dès l’été 1937.

Gare aux paons !

L’Angevin Louis Germain, directeur du Muséum à Paris, est l’auteur d’intéressantes suggestions d’aménagement, dont la Ville s’inspire largement. À Louis Germain revient l’idée de créer un parc animalier, qu’il dote largement d’animaux rares. Ces animaux causent quelquefois bien des dégâts. Les trente-cinq paons s’introduisent chez les religieuses du Bon-Pasteur pour dévorer choux-fleurs, petits pois et autres céleris. Le 17 octobre 1942, le couvent réclame à la Ville plus de 18 000 francs d’indemnités pour ces dégâts et aussi pour deux barriques de vin couchées sur la liste des légumes et fruits engloutis par les paons…

Les derniers grands aménagements concernent l’entrée du parc de la Garenne, rue Saint-Jacques, en 1961. Les ruines des moulins et le déversoir pittoresque sont supprimés. L’extrémité de l’étang est comblée avec une partie des déblais du chantier de l’usine Bull. À l’étang Saint-Nicolas, merveilleux site, le promeneur peut découvrir des paysages d’une variété confondante : lande sèche et schisteuse couverte de genêts et de bruyères, coteaux orientés au sud avec une flore méridionale de chênes verts et pins, massif de châtaigniers et de chênes, sapinière créée vers 1950 (la Ville y a puisé ses sapins de Noël), combes humides peuplées de fougères et pervenches, milieu aquatique enfin.