Le village de Reculée

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 303, juin 2007

Marqué par l’eau, mais adossé à la campagne, Reculée était un vrai village, alignant ses maisons de pêcheurs le long de la Maine : tout proche de la ville, et en même temps sans communication facile avec elle, d’où son nom.

Reculée disait le langage populaire ; « Apud Reculandam » traduisaient savamment les chartes du cartulaire de l’abbaye du Ronceray, dès 1058. Le village avait son clocher, la chapelle Sainte-Apolline, fondée par l’abbaye. Propriétaire des terres - bonnes terres à vigne et à blé du coteau dominant Reculée - Le Ronceray commence à partager son domaine en 1188, pour doter l’hôpital Saint-Jean nouvellement fondé.

Modestes maisons

Les maisons bordant la Maine sont très irrégulières et très modestes. Elles se découpent en saillies compliquées. Toutes ont un accès direct au fleuve par des portes, passages de service et étroits escaliers. Entre les murs de schiste et l’eau règne une zone vague servant de chemin, mais régulièrement inondée tous les ans, et même plusieurs fois par an. En 1466, une maison de plaisance élève sa tourelle d’escalier et sa galerie au milieu des maisons de pêcheurs : c’est le manoir que le duc d’Anjou, le roi René, s’est fait bâtir là par amour de la pêche. Car les eaux de la Maine sont très poissonneuses : brochets, silures, anguilles, brèmes, ablettes y foisonnent.

Comme les autres « campagnes » angevines du roi René, le logis est décoré de peintures agrestes. L’Anglais Locke le décrit en 1678 : dans la salle, « tout le plafond est couvert de pampres et de grappes de raisin ». « À côté se trouve une petite construction, basse et longue, […] dont on dit que c’était sa galerie […] et où figurent quelques touches de peinture ». Cela ne servait déjà plus à l’époque qu’à distraire une vache et à remiser bois et paille. Transformé en auberge, maison de pêcheurs, atelier de charpentier en bateaux, puis de charron, il n’en reste aujourd’hui plus guère de traces.

Religion, travail, santé

Tout auprès, René d’Anjou avait installé un ermite dans une chapelle dédiée à saint Antoine, leur saint patron. L’ermitage laisse place en 1598 au couvent des Capucins, dont la première pierre est posée le 4 avril par Henri IV. Le premier plan un peu précis du quartier, qui tient plus de la vue en perspective - celui de Thibaudeau en 1704 - montre l’enclos des Capucins, la blanchisserie de toiles voisine, les terres de « Madame l’abbesse du Ronceray », la chapelle Sainte-Apolline au milieu des petites maisons désordonnées de la rive et les closeries (petites exploitations agricoles) du coteau, comme celles de la Forêt, de Saint-Martin…

Mis à part les blanchisseries sur pré, la première activité industrielle s’implante à la Révolution, dans le couvent des Capucins entièrement rebâti pour servir de manufacture d’indiennes, ces toiles de coton imprimées si appréciées au XVIIIe siècle. À côté s’installe la manufacture de la Blancheraie, « teinture de coton, fabrication de toile et autres façons de Rouen ».

Ces entreprises ne durent guère plus de trente ans : en 1831, les ursulines de Jésus de Chavagnes (Vendée) achètent l’ancien enclos des Capucins pour y créer un pensionnat de jeunes filles, appelé Bellefontaine à cause de la fontaine qui y coule en abondance. Elles en sont vite délogées par les hospices qui choisissent en 1838 ce grand enclos pour y réunir les hôpitaux d’Angers, opération terminée en 1865. Quant à la fontaine, après avoir alimenté les blanchisseries, elle sert à l’élevage des sangsues…

L’isolement du quartier lors des inondations est de plus en plus souligné à partir des années 1830.  De plus, le bastion de la Haute-Chaîne, avec ses douves et l’avancée de la Maine, forme obstacle aux communications. L’actuel boulevard Mirault est esquissé sur une faible largeur en 1847. Le remblaiement n’est achevé qu’en 1871. Une levée de dix mètres - baptisée rue Larrey en 1893 - est achevée en 1878 pour enfin obtenir une liaison insubmersible avec le pont de la Haute-Chaîne. L’îlot entre le boulevard Mirault et la rue Ollivier est loti à partir de 1873, année qui voit la création de l’importante filature de laine Renault et Lihoreau, entre les chemins de Bellefontaine et de Montéclair. Les bâtiments sont rachetés en 1919 par la famille Lepoutre qui y crée l’usine Excelsa, elle aussi spécialisée dans la laine. Par derrière se trouvaient les entrepôts des établissements alimentaires Brisset.  

Et loisirs !

La construction de bateaux, qui a toujours existé en Reculée, se développe après 1850 avec la création de plusieurs sociétés nautiques. Dès lors, il n’est pas de saison sans régates. Le quartier est synonyme de loisirs, de promenades, de petits vins bus à la terrasse des guinguettes, de matelotes et fritures dégustées à « Ma Campagne », « Aux Lilas », « À ma Chaumière », « Au vieux Bourgueil »… En dehors de la fête annuelle du quartier recréée à la fin du XIXe siècle, tout est prétexte à divertissement : les régates, le baptême d’un bateau-lavoir, le lancement d’un bateau chez Duchesne !

Quant au quai projeté, il n’a jamais été construit, laissant au quartier des berges vertes propices aux activités nautiques. Et le tourisme fluvial jette l’ancre plus profondément en 1984, avec l’implantation d’un ponton de douze mètres de long.