Le roi René : un roi de légende

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 331, mars 2009

 

Le roi René est partout, dans la topographie, le commerce, les bâtiments, le tourisme… Pourquoi une telle gloire posthume, qui vaut celle d’un Henri IV ? Tous deux sont d’ailleurs également qualifiés de « bons rois » et font l’objet d’une « imagerie » populaire similaire : le premier remplace la redevance d’un pêcheur par une platelée d’ablettes ; le second permet à toutes les familles de mettre la poule au pot…

 

 

La fortune historique du personnage tient sans doute à son histoire extraordinaire, durant sa vie, longue pour l’époque (1409-1480). Personnalité riche et complexe, souverain à la tête, sinon de vastes domaines, du moins de titres prestigieux, il est tour à tour chef de guerre, mécène et écrivain, prince généreux, amateur de nature et de vie solitaire. Le goût pour un Moyen Âge idéalisé a trouvé en lui le « paladin idéal ».

Fils cadet de Louis II d’Anjou et de Yolande d’Aragon, René Ier d’Anjou n’était pas appelé à se retrouver dans la pleine lumière des combats franco-anglais de la guerre de Cent Ans, de la querelle entre Armagnacs et Bourguignons, des intrigues diplomatiques des villes italiennes et, pour finir, dans la toile d’araignée de Louis XI. Duché de Bar, marquisat de Pont-à-Mousson, duché de Lorraine, d’Anjou, comté de Provence, royaume de Sicile, d’Aragon et de Jérusalem lui valent autant d’infortunes : défaite de Bulgnéville en 1431, geôles du duc de Bourgogne pendant plusieurs années, énorme rançon, évanouissement du mirage italien…, sans compter les épreuves personnelles avec les décès successifs de son épouse Isabelle de Lorraine, de son fils Jean de Lorraine, de son petit-fils Nicolas. Cette vie mouvementée, digne d’un roman, vaut au roi René la sympathie des historiens qui ont forgé autour de sa personne, peu à peu, un mythe.

Jean de Bourdigné le premier, en 1529, dans son Histoire aggregative des annales et chronicques d’Anjou, fait du roi René un prince modèle, juste, plein de cœur, chevaleresque. Les historiens du XVIIe siècle lui attribuent au surplus une bonté qui va devenir peu à peu un trait de caractère. C’est un écrivain du XVIIIe siècle, l’oratorien Jean-Pierre Papon, qui crée le parallèle entre Henri IV et le roi René, dans son Histoire générale de Provence.

Le goût pour un Moyen Âge « gothique troubadour » met le roi René très à la mode dans la première moitié du XIXe siècle. Les légitimistes en font leur étendard pour promouvoir la cause de la royauté : René est le modèle du souverain idéal. Dans cette ligne, paraissent en 1825 les trois volumes fondamentaux du vicomte François de Villeneuve-Bargemont, Histoire de René d’Anjou, qui élèvent le prince au rang des « rois immortels ». En Anjou, François Grille, Paul Marchegay, Victor Godard-Faultrier et surtout Théodore de Quatrebarbes travaillent à faire connaître le roi René sous les couleurs les plus favorables. Le prince angevin incarne désormais le symbole du brillant passé de l’Anjou.

Le 23 juin 1830, le conseil municipal d’Angers attribue le nom du roi René au nouveau boulevard, entre le carrefour du Haras et la place de l’Académie, « ce bon roi dont le souvenir ne doit jamais s’effacer de notre mémoire ». Cette décision est rapportée par la nouvelle municipalité issue de la révolution de 1830. Le 1er décembre 1830, en même temps que la place Charles X reprend son nom de place du Ralliement, le roi René cède son boulevard au profit des Lices.

En 1844-1846, le comte de Quatrebarbes consacre quatre volumes à l’édition des Oeuvres complètes du roi René. Un an plus tard, en partie grâce au produit de son ouvrage, il offre à la ville la statue du roi René qu’il a commandée à David d’Angers. Le conseil municipal prend à sa charge le piédestal et la réalisation des douze statuettes ajoutées par le sculpteur. La statue est installée le 1er juin 1853, prélude aux grandes fêtes historiques des 5-7 juin. C’est la première qui soit érigée sur une place publique de la ville, symbole « légitimiste » face au projet, en cours depuis 1836, d’élever une statue à Beaurepaire. Le souverain y apparaît dans l’éclat de sa jeunesse, comme un page du XVe siècle. Il regarde vers le boulevard des Lices, qui lui est à nouveau dédié le 1er juin 1883.

Il y a déjà beau temps que la littérature, la musique, le commerce, l’industrie… se sont emparés de l’image du roi René. Le compositeur Hérold ne crée-t-il pas à Paris un opéra comique intitulé Le Roi René ou la Provence au XVe siècle en 1824 ? Les Angevins ne sont pas en reste, avec le drame Le Roi René donné en 1882 au cirque-théâtre, par un auteur resté anonyme. En 1937, la reconstitution d’un tournoi du roi René sert de prologue à la fête des Vins de France. Les commerçants utilisent aussi l’image du prince. Le parfumeur Auguste Clavreul dépose en 1889 la marque d’un « Élixir anti-odontalgique du bon roi René », premier des nombreux produits estampillés « roi René ».

La postérité du « bon roi » est immense, en Provence et en Anjou principalement, beaucoup moins en Lorraine où l’on ne pense pas toujours que c’est par l’Anjou et le roi René que la croix d’Anjou est devenue la Croix de Lorraine.

A voir, l’exposition présentée par la Conservation des antiquités et objets d’art et les Archives départementales à la collégiale Saint-Martin, du 21 mars au 12 juillet 2009 : « Le roi René au delà d’une légende ».