Le quartier Saint-Jacques vers 1900

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 303, juillet 2006

« Mon vieux Saint-Jacques ». Ainsi sont intitulés ces souvenirs angevins, parus dans « Le Courrier de l’Ouest » sous la plume du « Vieil Angevin » le 9 août 1958. Un « Vieil Angevin » qui n’était pas si vieux, 73 ans… : Jules Lecoq, né en 1885 rue Saint-Jacques, fils de l’imprimeur François Lecoq, dont les presses étaient réputées. Il raconte le quartier de son enfance.

Saint-Jacques avait son comportement tout particulier et vivait une vie presque campagnarde avec ses notabilités, son commerce, ses cultivateurs et même ses “mères de l’Église” et ses enfants de Marie souvent d’un âge ultra-canonique. C’était “la Paroisse” dans toute l’acception du terme. La vie était concentrée là autour d’un clocher fraîchement ajouté (1) à une vieille bâtisse replâtrée […].

Là régnait un curé taillé à coup de hache aux coteaux de Mûrs : M. Bonamy (2). Il était aidé par un sémillant vicaire […] l’inoubliable abbé Urseau (3), qui assista à mon baptême et m’insufla un peu de sa malice. […] Siègeaient au banc d’oeuvre de graves messieurs sous la surveillance sévère de la bonne de la cure qui, d’une fenêtre de chambre donnant sur l’église, suivait l’office sans sortir de son gouvernement. […] Réglait l’ordonnance des cérémonies, l’ineffable “père Boistard”, le bedeau à la chaîne d’argent […]. Il avait en mains la verge noire aux ornements argentés, “la baleine”, attribut d’autorité véritablement tiré d’un fanon de mastodonte.

Commerces à Saint-Jacques

Saint-Jacques dont la vie si typiquement rurale était quasiment réglée sur l’horloge de son clocher, avait cependant une vie particulière. On avait le bon goût de ne point acheter “en ville”, mais de faire valoir son quartier. Chaque commerçant avait ses “pratiques” et nul n’y voulait déchoir.

Il y avait le père Bondu (4), l’officiel distributeur du tabac, presque le représentant du Gouvernement dans le quartier, qui doublait son commerce de celui des vins dont certaine couleur de lie remplissait le ruisseau proche. Le magasin était tenu par sa fille qui devint Mme Jubin, morte en 1954 à 96 ans, à l’endroit même où elle était née. Mme Touron, la sage-femme, qui mit au monde au moins un millier d’enfants, présidait du haut de son imposante rotondité à toutes les arrivées des petits “Jacobites”. […]

Une importante maison de grains et de graines (5) siégeait tout près du clocher. MM. Houdebine et Roynard avaient succédé à mon grand-père qui fut le dernier meunier du moulin de Brionneau, tout en pratiquant aussi ce commerce. Il avait comme voisine la mère Marin, de la rue de l’Étang, morte à près de cent ans, qui nous racontait ses souvenirs d’enfance sur les scènes de la Révolution par la Haye-aux-Bonshommes. Et là où avaient eu lieu les noces de mes ancêtres s’installa plus tard le père Piau (6) avec de Farcy (7) pour y monter, en hardis pionniers, les moteurs à gaz et à pétrole, précurseurs de ceux de nos autos modernes. […]

Étalait en son opulence toute une charcuterie due aux chaudrons et fours des époux Moussu (8). Nous admirions là un joli cochon tout rose orné de fleurs de saison. Boutique basse, mais combien typique. Un échantillon perdu du vieil étal d’antan parmi de plus neuves boutiques.
Et celles-là c’étaient l’épicerie Rabu (9), aux cornets de bonbons à un sou, et aux grands pains de sucre. Auprès il y avait l’épicerie Rétif (10), la boucherie au père du chanoine Guéry (11) […]. Près de ma grand-tante Bouhier (morte en 1917 à 96 ans) était l’Arche dorée (12), ancien relais des chaises de poste […].

Patronages et maisons religieuses

Jusqu’en 1890, on allait à l’école chez les chers Frères du Tertre et à l’asile (13) construit dans le jardin donné par mon grand-père. Il était dirigé par la soeur Saint-Diodore, aidée par soeur Louise-de-Jésus qui, plus tard laïcisée, dirigea l’école des filles de la rue du Chef-de-Ville.

Le frère Dauphin inaugura en 1891 (14) l’école libre à la place de l’asile transféré à la Californie (15). Le jeudi, nous allions au pâtis Saint-Nicolas (16) […]. Saint-Charles (17) en son enclos de Guinefolle, au chemin du Silence, prenait un remarquable essor. Et surtout le Bon-Pasteur, monastère mondial dont Saint-Jacques avait vu le début avec sept pauvres religieuses sans pain, ni lits. Mûs par une immense charité, les habitants du faubourg, avant que l’ancienne manufacture d’indienne de Tournemine fût remise en état, avaient hébergé ces pionnières de Notre-Dame-de-Charité. Le meunier du moulin de Brionneau apportait la farine et grand-père des aliments collectés dans le quartier […]”. Fonctionnaient aussi “le patronage Saint-Vincent-de-Paul avec l’inoubliable père Fournier (18) et celui de Saint-Jacques, en la rue de l’Abbaye, avec son fondateur, l’abbé Urseau. […]

Vieux faubourg, vieux Saint-Jacques, écartelé maintenant par Belle-Beille, dont on a cependant reconnu le caractère et l’autonomie en ne le modernisant pas trop, et en détournant le trafic infernal des autos par les bas du Bon-Pasteur (19)”.

Extraits des souvenirs de Jules Lecoq

(1) - En 1882, en remplacement de l’ancienne façade romane.
(2) - René-Jacques Bonamy, curé de Saint-Jacques de 1885 à 1900.
(3) - Charles Urseau, futur chanoine et conservateur du musée archéologique Saint-Jean, décédé en 1940.
(4) - J. Bondu, 47 rue Saint-Jacques (Annuaire de Maine-et-Loire, 1890). Il y a toujours un bureau de tabac à cette adresse, à l’enseigne « Le Saint-Jacques ».
(5) - 64 rue Saint-Jacques. Maison fondée en 1842.
(6) - Jean Piau, mécanicien, 114 rue Saint-Jacques.
(7) - Maurice de Farcy (1866-1948), passionné de sport et de construction mécanique.
(8) - 59 rue Saint-Jacques, entre 1870 et 1896 au moins.
(9) - Au n° 53 en 1901, épicerie et mercerie.
(10) - Au n° 20, vendait aussi de la vaisselle.
(11) - 33 rue Saint-Jacques. Chanoine Augustin Guéry (1872-1951), archéologue et historien, disciple du chanoine Urseau.
(12) - L’un des plus anciens hôtels d’Angers, sans doute créé au XVe siècle.
(13) - Ancien nom des crèches et écoles maternelles.
(14) - Ces deux dates semblent erronées. Il s’agirait de 1880 et 1881.
(15) - Là où se trouve l’actuel collège du même nom.
(16) - À l’extrémité de la rue Chef-de-Ville.
(17) - Soeurs institutrices et hospitalières : maison-mère et noviciat au chemin du Silence (de la Meignanne), école gratuite pour les filles rue Chef-de-Ville.
(18) - Henri Fournier, fondateur du patronage en 1869. La rue qui portait son nom a disparu dans les travaux du Front-de-Maine.
(19) - Boulevard du Bon-Pasteur, ouvert en août 1956.