Le parc du docteur Hébert de La Rousselière, jardin des délices

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 324, juillet 2008

Mise à jour : 8 août 2022

Entre le quartier de Monplaisir et les Kalouguine, le parc Hébert-de-La-Rousselière, divisé en deux par la voie ferrée, est l’héritier du vieux manoir de la Gagnerie, propriété d’une dynastie de notaires, puis de médecins.

La Gagnerie, avec ses dépendances, formait un plan en U ouvrant sur le chemin de Nozay. Ce chemin rural débouchait au nord, à peu de distance, sur le chemin de Monplaisir (actuel boulevard), à l’angle d’une autre demeure bourgeoise, Monplaisir, qui a donné son nom au quartier. En suivant le chemin de Nozay vers le sud, on rencontrait les fermes dépendant de la Gagnerie : la Noirette, puis celle du Verger, à l’emplacement de laquelle a été construite l’église Saint-Jean de Monplaisir en 1968. L’ouverture de la ligne de chemin de fer Le Mans-Angers en 1863 a creusé une profonde tranchée au beau milieu du clos de la Gagnerie, transformant le rectangle en deux triangles.

Joseph Hébert de La Rousselière

Ce petit domaine, dont les Hébert de La Rousselière possédaient déjà depuis trois générations, n’aurait guère eu d’histoire sans la personnalité de son dernier propriétaire, le docteur Joseph Hébert de La Rousselière (1887-1979). Héritier d’une lignée de notaires de la rue Lionnaise, fils de médecin, il était autant passionné par les arbres que par la médecine… Interne auprès du docteur Monprofit, sa carrière médicale commence comme médecin aide-major au 25e dragon. Au cours du grand conflit, il illustre sa devise « Servir » et en revient avec trois citations, la Croix de guerre et la Légion d’honneur. 36 rue Lionnaise, il reprend la clientèle de son père et ses habitudes de générosité qui l’avaient fait surnommer « le médecin des pauvres ». Mais sitôt arrivé dans sa demeure de la Gagnerie, dont il fait sa résidence principale à partir de 1944, « il enfilait son bleu et il mettait son chapeau de paille » (témoignage de Germaine Bonnier, dans Monplaisir à dire, 1998) pour travailler à ses plantations. Cette passion pour l’horticulture le porte à la tête de la Société d’horticulture d’Angers et de Maine-et-Loire pendant vingt et un ans (décembre 1942- décembre 1963). Aujourd’hui, son oeuvre essentielle reste son livre sur l’Histoire des jardins d’Angers, publié en 1947.

Un second arboretum à Angers

À la Gagnerie, c’est un petit arboretum qu’il crée en 1932 sur le modèle de celui de la Maulévrie, réunissant une collection remarquable d’arbres rares sur les 7 000 m2 entourant la maison, à l’ouest de la voie ferrée. À l’est, il crée un bois de chênes, de tilleuls, une allée de cyprès… Il avait cherché à profiter des conditions d’exposition favorables pour acclimater des espèces méditerranéennes. Ce parc avait beaucoup de charme : il s’en dégageait une atmosphère particulière (témoignage de Xavier Sorin, ancien directeur des Parcs et Jardins de la Ville d’Angers).

Visitons-le en 1952.« On reste confondu d’admiration devant tant de merveilles, si judicieusement ordonnées. » À l’entrée, une plaque porte le nom de la propriété et les deux vers de Du Bellay : « Plus me plaist le séjour qu’ont basty mez ayeux/Que des palais romains le front audacieux ». « Des sentiers ont été adroitement aménagés, de petits carrefours, tons verts et bruns, font rêver. Quelle belle collection de lierres et de lauriers ! Le lieu, d’où s’élèvent des centaines de troncs de dimensions diverses, est semé de ronds-points dont la voûte frémissante est formée de milliers de feuilles plus différentes les unes que les autres ; chaque spécimen de « cet amusement horticole », comme le dit si joliment, et si modestement, le docteur Hébert, est soigneusement étiqueté. […] Voilà l’abisia, arbre japonais, genre du mimosa, et encore le curieux arbre qui dort, dont les feuilles se ferment quand vient la nuit ; et puis le naphéa, dont les fleurs s’ouvrent quotidiennement de 12 à 15 heures… Que de multiples beautés partout.

Un court tunnel est taillé à même dans des noisetiers. […] Le jardin est magnifique. Il y pousse les plus belles variétés de fleurs qui soient, dont des dahlias aux chevelures qui semblent sortir d’un indéfrisable… Plusieurs d’entre eux, des « inédits », seront présentés à l’exposition de septembre […] Mon guide, devant un jardinet aquatique, parfaitement irrigué, me fait faire connaissance avec le lotus du Nil, qu’il a réussi à acclimater. […] Voilà, empierré comme il se doit, un jardin unique de cactées et plantes grasses, […] et voici, surprenante, éblouissante de netteté, une charmille de quelque cent mètres de long. Quel entretien il faut pour la maintenir en impeccable état. […] » (Le Courrier de l’Ouest, article de Roger Moisdon, 26 juillet 1952).

Que sont devenues ces fragiles merveilles ? Sans héritier, le docteur Hébert a fait don de la Gagnerie à la Ville en 1964 - avec réserve d’usufruit sa vie durant - et vendu ses autres terres, nécessaires pour l’édification du nouveau quartier de Monplaisir. Après son décès, le 14 janvier 1979, le domaine est resté un espace vert, mais l’arboretum et le manoir n’ont pu être conservés. Des aménagements importants seront réalisés en 2008 sur la partie est et sa liaison piétonne avec le quartier de Monplaisir.