Le Marché d'intérêt national

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 295, novembre 2005

LE MARCHÉ D’INTÉRÊT NATIONAL : NOUVELLES PRATIQUES COMMERCIALES AU DÉBUT DES ANNÉES SOIXANTE

 
En octobre 2003, les Archives municipales recevaient en dépôt les archives de la Sominval, la société d’exploitation du marché d’intérêt national du Val de Loire. Grâce à elles, on peut comprendre les mutations économiques des secteurs de l’alimentation dans la seconde moitié du XXe siècle.


1913 : Le maire, le docteur Barot, s’inquiète dans un rapport sur la situation de la ville qu’Angers n’offre aux cultivateurs aucune garantie d’écoulement régulier de leurs produits. Il estime nécessaire la création de halles centrales de l’alimentation. Mais on se contente encore longtemps des halles délabrées de la République.

L’exemple de la Hollande

La question maraîchère - qualité et écoulement des produits - remet la question en lumière. Devant les maraîchers réunis en assemblée générale le 16 janvier 1954, Forget, président de la chambre d’agriculture et Collet, président de la Fédération des maraîchers de Maine-et-Loire, prônent l’exemple des marchés-gares et des veilings (vente à la criée) hollandais. Lors d’une réunion ultérieure, l’adjoint au maire Louineau propose à Rodolphe Collet la création d’un marché d’intérêt national, proposition entérinée par le conseil municipal du 30 mars 1954. L’appui de la Fédération des maraîchers et l’action volontaire de la Ville lancent le projet, avec les soutiens du préfet Morin et de la chambre de commerce.

On prévoit d’abord petitement son installation à l’emplacement de la gare Saint-Serge, mais un voyage en Hollande de Louineau, Collet, Turc, de l’architecte Mornet et de l’ingénieur en chef du génie rural Brault agit comme une véritable révélation. Le projet est repensé sur une vaste échelle, à l’extrémité de la rue du Maine, sur un ensemble de prairies marécageuses appartenant à l’entreprise Beauvais-Robin et aux héritiers Boulvert (Grands Moulins d’Angers). Le projet définitif est voté par le conseil municipal le 15 juin 1956.

Les travaux de remblaiement du « pré du Figuier » et du « Marais » - 100 000 m2, 400 000 m3 - sont menés tambour battant à partir de l’automne 1957 par l’entreprise Bourdin et Chaussée, qui cède la place à Brochard et Gaudichet pour le battage de près de 390 pieux, devant assurer le socle des fondations. La première pierre des bâtiments est posée par le maire Chatenay le 16 février 1959.

Enjeux

Mais que peut-on attendre de ce nouvel équipement ? Pour les producteurs, d’importants frigorifiques, un label de qualité et de nouveaux débouchés, jusqu’à l’échelon européen ; pour les expéditeurs, des installations pratiques, une connaissance parfaite du marché, des moyens de télécommunication ; pour les détaillants, un grand choix sans déplacement ; pour tous enfin, des prix plus justes. Quand un maraîcher de Mazé expédiait à son mandataire des Halles de Paris pour 56 francs de petits pois, il devait déduire 20,54 francs de taxes et frais divers. Désormais, il ne paiera plus qu’une taxe de 2 à 3 %, soit 1,68 francs pour une transaction de 56 francs…

Alors est-ce pour autant le succès immédiat à l’ouverture des entrepôts frigorifiques le 1er février 1961, puis au transfert du marché de première main de la place Saint-Serge au carreau du MIN le 1er juin et à la première séance de ventes aux enchères le 16 ? Non, l’instrument était si nouveau et induisait tant de changements dans la production que les conditions de fonctionnement ont été fort différentes de celles que l’on attendait. Pendant plusieurs années, la société d’exploitation, la Sominval, connaît une situation financière difficile, provoquant quelques remous dans les milieux politiques et économiques.

Débuts de la standardisation

C’est que le MIN introduisait pour la première fois la notion de standardisation de la production, de normalisation et de regroupement des producteurs. En 1963, Pomanjou et Sicanjou ne rassemblent encore que le quart de la production de pommes et de poires en Anjou, pourcentage insuffisant pour s’assurer une maîtrise commerciale.

Mais peu à peu les tonnages traités augmentent, au fur et à mesure de l’extension des installations frigorifiques et à la faveur de l’interconnexion du cadran de vente aux enchères avec Paris, Lyon, Avignon… Ainsi les télescripteurs transmettent les prix pratiqués dans l’ensemble des marchés de consommation français. L’inauguration officielle du marché par l’Angevin Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture, n’a lieu que le 12 septembre 1963, après le classement du marché angevin parmi les marchés d’intérêts nationaux, par décret du 26 novembre 1962. Le ministre parcourt les deux types d’installations : celles du marché de première main (distribution), pour l’approvisionnement des demi-grossistes et détaillants de la région et celles du marché de gros (expédition), avec les frigorifiques, halls de conditionnement et de marchandises, la salle de ventes aux enchères dite du cadran et les box des grossistes.

Le rôle du MIN comme pôle d’attraction s’affirme. Bientôt deux réalisations créent autour de lui un pôle économique : les abattoirs du Doyenné et la chambre d’Agriculture, avenue Joxé. De nouvelles pratiques, un nouveau quartier sont nés.