Le Front de Maine avant le Front-de-Maine

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 242, janvier 2001

Au commencement était la prairie, vint un premier abattoir, puis un second plus vaste, bientôt encerclé par un boulevard préfigurant les rocades. Enfin naît un nouveau quartier, le Front-de-Maine.

Le fil de l’histoire, ainsi résumé, peut débuter au XVIe siècle. Immédiatement à l’ouest des fortifications bordant la Doutre s’étend le « pré d’Alloyau », zone inondable située entre le faubourg Saint-Jacques et la Maine, face à la colline de l’Esvière. Lui succède vers l’ouest, le pré de l’abbaye Saint-Nicolas (futur parc de Balzac). À la bonne saison, Alloyau servait aux montres générales des compagnies des habitants de la ville et à leurs exercices militaires. Ainsi l’écrit le chroniqueur Jehan Louvet en son journal. Pour le reste, les fenaisons font toute l’histoire du lieu pendant des siècles.

La ville se rapproche avec la construction de l’abattoir, mise au concours en 1830. Jusqu’alors les animaux sont tués en pleine ville, rue de l’Écorcherie (aux environs de l’actuelle rue Plantagenêt)… Après avoir été promené dans différents quartiers, suivant les quatre points cardinaux, de l’Esvière à Saint-Serge et au pâtis Saint-Nicolas, l’abattoir est fixé sur le pré d’Alloyau en 1832, malgré de nombreuses oppositions. On trouve l’emplacement trop proche de la ville. Plusieurs années sont employées à l’énorme remblai nécessaire et à sa stabilisation afin de mettre le terrain hors d’eau en tout temps. Les matériaux sont pris au pâtis Saint-Nicolas. L’adjudication des bâtiments eux-mêmes se déroule le 21 octobre 1841. Les plans ont été dressés par Édouard Moll, architecte choisi pour bâtir le nouvel hôpital. La pose de la première pierre en 1842 est prétexte à une belle cérémonie. Vingt et un livrets de Caisse d’épargne sont délivrés aux ouvriers les plus méritants. L’ouverture n’a lieu que le 20 février 1847. Désormais tous les bouchers sont tenus d’utiliser le nouvel équipement. Le prix d’abattage est fixé à 25 francs pour un bœuf, 10 francs pour une vache, 2 francs pour un mouton…

L’abattoir, dont l’entrée se situe sur le boulevard de Nantes (Gaston-Dumesnil) n’occupe qu’une faible partie de la prairie d’Alloyau. La municipalité traite en 1850 avec ses différents propriétaires réunis en syndicat pour y installer le nouvel hippodrome, celui d’Écouflant paraissant trop éloigné de la ville. L’affaire ne tient pas : querelles pour droits de location et inondations interminables renvoient l’hippodrome à Écouflant dès 1852.

Conçu pour une ville de 40 000 habitants et pour trente bouchers, l’abattoir est très vite insuffisant. Trente ans après sa construction, on parle déjà de l’agrandir. Alors qu’il s’y tuait environ quatre-vingts grosses têtes par semaine en 1850, deux cents y sont abattues en 1880 par cinquante-deux bouchers. Un agrandissement est d’abord voté, mais le projet n’apparaît pas sérieux et l’on se décide en 1903 à élever un abattoir modèle entièrement neuf, orienté vers la Maine, sur des prairies cette fois entièrement remblayées. L’architecte parisien Jules Blitz conçoit un bâtiment largement aéré, dont l’architecture élégante provoque l’admiration des visiteurs lors de son inauguration, le dimanche 30 octobre 1910. À l’entrée, la silhouette gracieuse de l’horloge sur son pylône ajoute une note pittoresque.

Quelques années de tranquille activité et survient la circulation automobile. Dès 1929, il faut songer à dévier la Nationale 23 (route de Nantes), trop dangereuse dans son passage rue Saint-Jacques, d’où l’idée du boulevard de Tournemine (devenu du Bon-Pasteur), ouvert au trafic en août 1956. L’abattoir se retrouve encerclé. Qui dit boulevard, dit grand garage : le « Grand Garage d’Anjou », concessionnaire Renault, le plus important de l’Ouest de la France avec deux cents employés, s’y installe en 1958.

Quelques années encore et l’abattoir ferme ses portes en 1970, remplacé par celui du Doyenné à proximité du Marché d’intérêt national. Les bâtiments de Blitz servent alors d’auberge espagnole : usine-relais de DBA-Bendix, atelier chorégraphique, expositions, « café-théâtre », entrepôt pour la compagnie du théâtre des Pays de la Loire, subdivision sud du service Voirie, banque alimentaire… Leur existence est comptée, d’autant que la nouvelle trémie à l’extrémité du pont de la Basse-Chaîne et son échangeur routier en engloutissent une partie en 1973. Le lieu est successivement pressenti pour accueillir le nouvel hôtel de ville (en 1971), puis l’hôtel du Département ou la préfecture. C’est finalement un vaste programme immobilier, envisagé dès 1986, qui remplace l’abattoir démoli en 1991. Sa pendule, si cocasse, va renaître d’ici peu, à titre de souvenir.