Le bureau municipal d'hygiène : accouchement au forceps

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 326, octobre 2008

Dans le cadre du mouvement hygiéniste, et sur l’exemple d’institutions analogues à Turin et à Bruxelles, les premiers bureaux municipaux d’hygiène français voient le jour au Havre et à Nancy en 1879. Qu’en est-il à Angers ?

La proposition de créer un bureau d’hygiène arrive au conseil municipal le 6 janvier 1894. Présentée par le docteur Monprofit, elle est renvoyée en commission d’où elle ne revient pas. Le 21 juin 1899, Colas de La Noue demande où en est la question. « J’ai fait venir, lui répond l’adjoint Proust, des renseignements des villes voisines où ces bureaux fonctionnent, malheureusement l’établissement en est très coûteux et nous serons obligés de procéder par degrés… ». Le docteur Monprofit insiste sur cette création qui permettrait d’effectuer la désinfection des locaux où ont séjourné des personnes atteintes de maladies contagieuses. On se contente d’acheter un appareil de désinfection à domicile en 1900. Sa manipulation est confiée à un conducteur de la voirie.

La loi du 15 février 1902 sur la protection de la santé publique fait obligation aux villes - à partir de 20 000 habitants - de créer un bureau municipal d’hygiène et de rédiger un règlement sanitaire suivant les prescriptions fournies. À reculons, le conseil municipal adopte le premier règlement sanitaire de la ville le 20 décembre 1905, mais en supprimant tout ce qui en permettrait l’exécution. Aussi est-il rejeté par le conseil départemental d’hygiène. Il faut donc revenir, lors du vote définitif du 2 août 1907, au règlement type imposé.

Quant au bureau d’hygiène lui-même, il n’est organisé - sous forme provisoire - qu’au 1er janvier 1906 et sur mise en demeure expresse du préfet. Par économie, c’est l’inspecteur de salubrité de l’abattoir qui en est nommé directeur… La santé des Angevins confiée à un vétérinaire ! Les termes de la délibération du 28 décembre 1905 et de l’arrêté municipal créant ce bureau provisoire sont un modèle du genre en matière d’hypocrisie et de mensonge. La municipalité Joxé maquille son inertie en déclarant qu’un « emploi d’inspecteur du service d’hygiène [sic] et de salubrité » a été créé en 1886, alors qu’il s’agit seulement du service d’inspection des denrées alimentaires. Quant à l’arrêté, il commence ainsi : « Le service municipal d’hygiène et de salubrité est réorganisé [sic] et fonctionnera désormais à la mairie sous le nom de bureau municipal d’hygiène »…

Ses attributions sont au nombre de vingt-trois : réception des déclarations de maladies contagieuses, statistiques démographiques, contrôle de l’isolement des malades, désinfection et vaccination, inspection médicale des écoles, surveillance des hôtels et logements meublés, inspection des logements insalubres, casier sanitaire des immeubles, carte sanitaire de la ville, surveillance des eaux, des fosses d’aisances, des denrées alimentaires, police sanitaire des animaux… Tout cela pour trois employés seulement et un directeur, déjà inspecteur de l’abattoir !

Le vétérinaire-directeur du bureau d’hygiène démissionne - il fallait s’y attendre - au 1er décembre 1906. Le directeur de l’abattoir, Mallet, est chargé de l’intérim. Sous le coup des critiques du ministère de l’Intérieur et du Conseil supérieur d’hygiène de France, les municipalités Joxé, puis Monprofit à partir de mai 1908, sont obligées de revoir l’organisation du bureau à deux reprises. De nouvelles observations viennent encore en 1909 du conseil départemental d’hygiène, dont le secrétaire, le docteur Jagot, est un ennemi personnel du docteur Monprofit. Enfin, l’arrêté municipal du 7 février 1910 fixe l’organisation définitive du bureau d’hygiène, dont le fonctionnement normal débute avec la nomination à sa tête du docteur Georges Lafosse, le 10 septembre 1910. Le service de désinfection est organisé dans les formes prescrites en juillet 1911 et installé place des Arts (place La Rochefoucauld).

 

À la suite de la démission du docteur Lafosse en 1916, le bureau retombe malheureusement dans l’irrégularité et le provisoire. Les conditions d’organisation et de fonctionnement fixées par le décret du 3 juillet 1905 ne sont pas respectées. Le poste de directeur n’est pas mis au concours, la direction étant assurée jusqu’en 1931 par une personne dépourvue du diplôme de docteur en médecine. La situation est alors régularisée, le service réorganisé. À ce poste s’est illustré - de 1937 à… 1979 - le docteur Marguerite Legros, femme de caractère et d’un dévouement sans limites.