L'Elysee, avenue Patton : le cinema des Castors

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 290, mai 2005

L’ancien cinéma l’Élysée, 58 avenue du Général-Patton, doit prochainement être démoli dans le cadre du nouvel aménagement du quartier. Oeuvre de l’association coopérative des Castors angevins, tour à tour cinéma, salle de concert, de conférences, de cours…, son livre d’or est plutôt bigarré.

Fondée en 1950 par la grande animatrice du logement social à Angers, Christine Brisset, la société coopérative d’habitations à loyer modéré Les Castors angevins avait pour vocation de loger les familles pauvres. Et voici qu’elle se lance dans un projet de cinéma…, grâce aux compétences du fils de Christine Brisset, le cinéphile Jean-Michel Arnold. À vrai dire, le besoin s’en faisait sentir dans ce quartier de Belle-Beille sorti de terre depuis 1953 et qui comptait déjà quelque 16 000 habitants.

Le 25 mai 1959, Louis Poulain, négociant en grains et engrais, accepte de vendre une partie de son terrain du 58 avenue du Général-Patton, proche de la rue de Belle-Beille. Les plans du cinéma, appelé provisoirement le Castor, sont établis en mai-juillet 1960. Un semestre suffit à la Fédération des Travailleurs angevins réunis pour le faire sortir de terre.

Le Palais du spectacle

Le quinzième cinéma d’Angers – c’est l’époque des salles uniques, vastes comme un théâtre – est baptisé l’Élysée, terme fréquemment donné aux lieux de divertissement public. Il peut recevoir huit cent cinquante spectateurs dans une agréable symphonie de gris, rouges et noirs, avec quelques éléments bleus, conçue par Gaston Quinette, auteur de la réfection de l’Opéra-Comique. L’écran le plus vaste d’Angers, le meilleur du confort avec des fauteuils en Dunlopillo, une scène permettant de donner de petits spectacles de théâtre et de music-hall, bar et dancing au sous-sol… : la nouvelle salle est à la pointe du modernisme et de l’efficacité.

Christine Brisset offre la primeur du nouvel établissement aux enfants du personnel des sociétés coopératives de Maine-et-Loire, le 14 janvier 1961. Pas de film pour cette première, mais un spectacle animé par des artistes régionaux. La carrière du cinéma est officiellement lancée le 26 février par le ministre des Travaux publics et des Transports, Robert Buron, soutien de longue date du mouvement Castor.

Le Gotha du cinéma

L’exploitation de la salle est confiée à une société coopérative, dirigée par Jean-Michel Arnold, président des Amis de la cinémathèque, qui amène à l’Élysée le gotha du cinéma : Jean Renoir, François Truffaut, Michel Simon… Pour le centenaire de son père Georges, André Méliès anime une soirée, avec accompagnement au piano par Bernard Riobé, où revit l’ambiance des anciennes projections.

Mais l’âge d’or de l’Élysée se termine vite. Christine Brisset, victime d’ennuis judiciaires que lui valent de solides inimitiés locales, quitte Angers après sa condamnation en juillet 1964 et les Castors angevins ferment le cinéma le 1er juillet 1965. Belle au bois dormant pendant trois ans, il est vendu à Abel Roux qui en fait la réouverture le 29 mai 1968, diffusant les films à succès, comme La Grande Vadrouille. Petite particularité, il est le seul à programmer des films d’horreur, le samedi à minuit. La soirée pouvait commencer au bar (sur la gauche de la façade) et se terminer à la discothèque, en sous-sol. Comme au théâtre, une ouvreuse plaçait les spectateurs .

Rock à fond

Mais l’Élysée ne peut maintenir sa vaste salle unique face à la concurrence des complexes cinématographiques apparus à Angers avec l’Ariel en 1972. Abel Roux vend son exploitation à une société civile immobilière le 15 avril 1977. Le 2 juillet 1978, c’est la dernière séance, avec la projection d’un film d’épouvante le samedi à minuit, Génération proteus. À partir du 16 novembre 1978, le cinéma est loué par la Ville d’Angers, à la recherche d’une nouvelle salle de spectacles pour remplacer le Beaurepaire temporairement inutilisable. La salle, très demandée par associations et comités d’entreprises, sert aussi pour d’importants meetings électoraux. La Ville l’achète en mai 1980. Des groupes de rock se plaignent de ne pouvoir disposer de salles à des tarifs abordables depuis que la ville réserve le Beaurepaire à la Maison de la Culture. Ne reste que l’Élysée, note Le Courrier de l’Ouest, seule salle permettant la tenue de concerts dans de bonnes conditions. Voire.

Pendant dix ans, l’Élysée se spécialise dans les concerts rock, mais les déconvenues sont nombreuses. Les fauteuils d’une salle de cinéma ne conviennent pas pour des concerts toniques que l’on écoute debout…, si bien qu’à chaque fois ils sont mis KO… La salle sert par ailleurs à des manifestations variées, qui vont du concert de Léo Ferré à la conférence de Mgr Lefebvre, chef de file des traditionalistes catholiques. L’ancienne discothèque est réservée à la Maison de la Culture pour ses répétitions et soirées de jazz.

En octobre 1990, le bâtiment entame une nouvelle carrière, transformé en amphi de 450 places pour l’université, à la recherche de salles de cours. L’Université angevine du temps libre (UATL) en profite également. Les activités rock sont transférées à la Cerclère. Après l’ouverture des nouveaux bâtiments universitaires de Saint-Serge en septembre 1998, la salle est moins utilisée, n’étant plus aux normes pour des spectacles. Les salariés licenciés d’ACT Manufacturing France y tiennent leurs permanences en 2003-2004. La démolition du cinéma est décidée en avril 2003, au profit d’un nouvel ensemble urbain.