L'eau ferrugineuse... oui !

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 320, février-mars 2008

Angers, ville d’eaux ? Sources et ruisseaux y abondaient, aujourd’hui détournés vers le réseau d’eaux pluviales. Ville d’eaux au sens thermal ? Presque ! L’une de ses sources avait une « certaine réputation », quoique locale : la source ferrugineuse du boulevard Descazeaux...


En 1865, l’actuel quartier du boulevard Descazeaux n’est que décombres et carrières. Un boulevard est ouvert au beau milieu des anciens hôpitaux d’Angers : hôpital général, pénitentes, incurables. Le nom de Mme Descazeaux lui est attribué le 24 février 1869 pour rappeler la généreuse fondatrice de l’hôpital des incurables en 1734. Les terrains schisteux sont sévèrement nivelés et aplanis.

Comme à Martigné-Briand

C’est sans doute au cours de ces travaux qu’est mise au jour, dans les anciens jardins du Carmel, une source ferrugineuse dont les eaux vont paraître propices à la médecine. Tout ce quartier est d’ailleurs très riche en eaux souterraines. Les travaux de voirie achevés, la source se trouve située à l’emplacement des actuels 18 bis-ter boulevard Descazeaux et 23 rue Guittet. Sa découverte est signalée pour la première fois par un habitant du boulevard, le docteur Adolphe Dulavouer, dans une lettre au Journal de Maine-et-Loire, publiée le 13 juillet 1870. Il en compare les eaux avec celles de Jouanet à Martigné-Briand, sources ferrugineuses froides réputées dans la région.

Il n’existe alors pas moins de quinze sources ferrugineuses à Angers, recensées en 1876-1877 dans un article du Bulletin de la Société d’études scientifiques par Ernest Préaubert  : au jardin des Plantes ; place du Ralliement et rue Plantagenêt (déjà détournées) ; au Pied-Boulet ; fontaine Saint-Laurent rue Saint-Jean, toujours existante ; fontaine Garnier place de la Laiterie ; fontaine Saint-Nicolas sur l’actuel boulevard Clemenceau ; à l’étang Saint-Nicolas, cinq sources à faible débit rive gauche, deux sur la rive droite, dont une au « vallon sacré » qui fournit une « eau ferrée très abondante et très agréable ». Quant à la source du boulevard Descazeaux, il la qualifie d’« abondante, très ferrugineuse et d’une certaine réputation ». Certaines sont éphémères, comme celle attestée en en 1907 boulevard Ayrault ou celle découverte en 1824 dans les carrières abandonnées du Pré-Pigeon.

Pourquoi tant de sources ferrugineuses ? C’est que le terrain angevin, appartenant à l’ère primaire, est très riche en filons renfermant des oxydes de fer. Le banc ferrifère de Reculée a été très anciennement exploité. Sur l’autre rive, un essai est tenté à partir de 1908 à la mine du Pavillon. Quant aux coteaux de l’étang Saint-Nicolas, ils fournissaient des schistes ferrugineux prismatiques pour la fabrication d’échalas de vigne et de la terre ferrugineuse acide destinée à faire bleuir les fleurs d’hortensia. Mais c’est au nord de l’Anjou que l’activité minière a eu le plus de succès, autour de Segré.

Destin de la source

Inutile de vous rendre avec un gobelet boulevard Descazeaux pour boire à la source ! Il n’y en a plus trace. À plusieurs reprises, les habitants de la Doutre ont réclamé son aménagement. Il ne s’agissait que d’y transporter le monument de la fontaine des Vignes, tarie : travaux peu coûteux, quoiqu’essentiels, car s’approvisionner en eau dans un simple trou creusé en terre rendait la source aussitôt boueuse. Au contraire, son emplacement fait partie des terrains dont le conseil décide l’aliénation pour lotissement le 15 décembre 1873. Seule l’absence d’acheteur le laisse provisoirement « réservé » à la source.

Après un projet sans lendemain de petit square à l’anglaise envisagé en 1877, la municipalité autorise, le 7 avril 1887, la vente du terrain à l’entrepreneur Chassard, qui se propose d’y construire trois maisons, les 18 bis et ter boulevard Descazeaux, et le 23 rue Guittet. Il s’engage cependant à n’y faire aucune cave ni excavation susceptibles d’empêcher la captation de la source et son écoulement, tandis que la Ville conserve le droit d’y faire exécuter tous travaux nécessaires, si la source venait à tarir.

C’est sans doute entre 1878 et 1887 que la source est captée par des canalisations la conduisant à une borne-fontaine, au bord du trottoir. Jour et nuit, la « fontaine d’eau rouillée » coule intarissable dans un caniveau couleur ocre, jusqu’au bas de la rue Billard, où l’eau est avalée par l’égout . Elle intéresse toujours. C. Blais, place Sainte-Croix, obtient en 1905 la permission d’y puiser régulièrement pour livrer l’eau à domicile. Les écoliers du boulevard de Laval viennent encore y boire dans les années trente .

 

Elle coule, intarissable… jusqu’à la suppression de la borne-fontaine en 1949. Deux analyses successives avaient été commandées à la suite des bombardements de juillet 1944. Déclarée potable en février 1945, elle ne l’est plus en février 1947. Les résultats sont pourtant strictement identiques, mais les traces d’ammoniaque, dont on n’avait pas tenu compte deux ans auparavant, deviennent rédhibitoires ! La source présentait aussi un taux de nitrates de 51,2 mg/l - la norme actuelle prescrit de ne pas dépasser les 50 mg/l - mais à l’époque, c’était sans importance.