Germaine Canonne, première femme élue de Maine-et-Loire

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 333, mai 2009

 

Germaine Canonne s'est éteinte le 26 avril 2009, au matin même de ses cent ans, joyeusement fêtés la veille à la résidence César-Geoffray : une vie si bien remplie, au service des autres, avec pour maxime, « partager », comme règle de vie « être simple et parler de même » et surtout savoir protester, ainsi que le général Patton l’avait observé lui-même…

 

 

5 octobre 1944 : les femmes françaises obtiennent le droit de vote. Germaine Canonne, née à Saint-Quentin le 26 avril 1909, professeur d’anglais, belle-soeur du docteur Michel Canonne, se présente aux élections municipales d’Angers, sa ville d’adoption depuis 1939. Elle est élue le 13 mai 1945, en seconde position avec 19 437 voix sur la liste socialiste dirigée par Louis Imbach (19 471 voix), dont on ignorait encore la mort en déportation. Première femme élue d’Angers, elle l’est aussi du département, en septembre 1945, et même élue vice-présidente du conseil général.

Chargée des affaires sociales à la ville comme au département, elle va se dépenser sans compter pour les plus vulnérables. On lui doit en particulier la Goutte de lait municipale, la première crèche de la ville (Marie-Placé), le premier foyer des « vieux travailleurs » et la suppression des maisons de tolérance à Angers, avant que la loi Marthe Richard ne l’instaure au plan national le 13 avril 1946. Voici quelques extraits de ses souvenirs de première femme élue du département, donnés à l’occasion d’une conférence (texte inédit) le 19 octobre 1988.


« De tout temps, j’ai été sensible au sort des femmes. Lycéenne, je savais par ma correspondante anglaise que depuis 1918, dans son pays, les femmes participaient à la vie publique. Étudiante à Paris, j’avais accepté quelques responsabilités au sein d’organisations réclamant la promotion de la femme.
Lors de mon mariage, j’eus le bonheur de connaître une merveilleuse belle-mère, vice-présidente de la Caisse des écoles, qui avait créé le centre de la Claverie, à l’époque un centre aéré pour les scolaires. […] Lorsque dans cette France libérée, on parla d’élections municipales, mon mari m’encouragea vivement à solliciter les suffrages ; j’acceptai de figurer sur la liste d’un parti dont j’avais toujours entendu vanter l’idéologie par mon père : le parti socialiste.
Au premier tour de scrutin, quelle ne fut pas ma surprise de me voir en tête de liste (8 272 voix) avec plus de voix que M. Allonneau, déjà connu, plus de voix que M. Barangé qui avait fait ses preuves [Charles Barangé, l’un des fondateurs du Mouvement Républicain Populaire en 1944]. […]

En mai 1945, je faisais donc partie du conseil municipal, ainsi que deux autres femmes, Mlle Galland, Mlle Germain. Monsieur Allonneau fut choisi comme maire et je fis partie de la famille des six adjoints. Nous avions chacun des responsabilités particulières en plus des délégations de pouvoir nous obligeant à être présents à la mairie un jour par semaine. Mon jour était le lundi. […]

1945. La pénurie était maîtresse, dans tous les domaines et notamment celui du ravitaillement. Tous les produits étaient contingentés et parfois absents. Pas de discours inutiles, il fallait oeuvrer vite. […] Ce qui me bouleversa le plus, ce fut d’apprendre le nombre de décès d’enfants de moins d’un an à cause de la mauvaise qualité du lait. Le service départemental de la Santé me fournit le nombre de décès : 1 215 en 1945 et l’opinion des médecins était formelle, il s’agissait de troubles alimentaires, de gastro-entérites, de choléra même.

Mais, pour faire venir du bon lait, je m’aperçus bientôt que j’allais me heurter à des intérêts puissants qui étouffaient les consciences. Je suis obligée de résumer toutes ces démarches pénibles, mais non regrettées, pour faire reconnaître par les autorités compétentes qu’une ou deux laiteries étaient particulièrement équipées et qu’on devait leur donner la priorité pour la distribution de lait aux moins d’un an. […]

C’est en 1947 que la Goutte de lait, comme on l’appelait, put fonctionner et outre la garantie sanitaire apportée, les mamans eurent des remboursements intéressants des services de santé. En même temps que l’installation de la Goutte de lait, nous avons songé à utiliser l’autre partie de l’immeuble pour un autre organisme répondant également au souhait de la donatrice [Marie Placé], j’ai parlé de la crèche municipale. Malgré la diligence des services d’architecture, les crédits nécessaires, la réalisation fut pénible avec tous les bons matière existant : il fallait des couches, des draps, des bavoirs, des serviettes, de la laine et tout était contingenté, y compris le fil à coudre. Avec un personnel compétent, des berceuses dévouées, la crèche pouvait fonctionner dès fin octobre 1947. Je ne veux pas me souvenir pourquoi en juillet 1948, elle n’avait toujours pas été ouverte par la municipalité qui nous avait succédé. […]

À l’automne 1945, il fallut faire face aux élections cantonales et législatives. Cela signifiait des réunions variées et des heures de travail pour préparer les rencontres avec le corps électoral. Celui-ci demeurait un peuple déçu et irrité parce que la situation matérielle ne s’était pas améliorée aussi rapidement qu’on l’espérait. […] Une deuxième fois, je triomphai de M. Charles Barangé et devins conseiller général du canton sud-est. […] J’avais auparavant glané quelques informations sur le rôle de l’assemblée départementale, mais ce fut quand même éprouvant de me trouver seule femme devant trente-trois messieurs, notaires, ingénieurs, médecins, exploitants. […]

 

Je fus intégrée à la troisième commission, celle des oeuvres sociales, ce qui était pour moi un moyen appréciable pour mener à bien mes projets de solidarité. […] Étant l’élue des cantons de Trélazé, d’Andard et de Brain-sur-l’Authion, je devais me familiariser aussi avec le monde agricole. […] Au cours de mes visites, j’ai pu me rendre compte combien l’habitat rural était encore privé d’un minimum de confort et quelle fausse idée on se faisait sur l’aisance des petits propriétaires. Combien de pétitions n’a-t-il pas fallu pour obtenir l’électricité dans certains coins et l’eau sur l’évier ou à la ferme !

Sur le chapitre de l’amélioration des méthodes dans le domaine agricole, je m’en voudrais d’oublier cette anecdote assez plaisante. Lors d’une réunion du conseil général, M. Varenne, alors vétérinaire départemental, avait fait un rapport très documenté sur l’insémination artificielle du bétail et surtout des vaches. Comme pour toute entreprise, il fallait des fonds et afin d’emporter l’adhésion des conseillers, il nous proposa un film sur la question. Alors qu’on disposait l’écran et qu’on tirait les rideaux, M. Varenne me regarda, puis, inquiet, dit aux conseillers présents : « Messieurs, je pense que vous serez de mon avis, nous allons être obligés de demander à Mme Canonne de sortir, nous ne pouvons pas la laisser regarder ces images. » Mme Canonne, mère de trois enfants, ne pouvait évidemment voir sans être offensée un taureau en érection et elle n’assista pas à la projection de ce film !!!! »