De Toutain à Beauvais-Robin : les débuts du machinisme agricole à Angers

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 273, novembre 2003 (modifications 20 février 2012)

Angers a eu d’autres industries phares que le textile, les liqueurs, l’ardoise ou les parapluies… Une entreprise a suivi - parfois suscité – toutes les étapes de la mécanisation agricole, de la fourniture de fers à la construction de machines perfectionnées.


Beauvais-Robin : un nom à Angers ! L’entreprise était d’origine ancienne. Depuis 1780, de père en gendres, en fils ou en neveux, dix générations se sont succédé pour assurer sa prospérité, jusqu’à sa dissolution définitive en décembre 2002.

Le fondateur est originaire de Sablé : Guy Toutain de La Morinière (1754-1828), second fils d’un marchand tanneur, s’établit à Angers rue Bourgeoise (ou rue des Ponts), au bas de la rue Baudrière, comme marchand de fers, fournisseur de pièces aux maréchaux-ferrants, préfigurant les comptoirs de métaux qui fleuriront avec la révolution industrielle. Il épouse en 1784 la fille d’un marchand quincaillier de la même rue et se transporte vers 1792 au port Ligny, grand quartier commerçant de l’époque, qui profite des facilités du transport par eau, alors que les routes sont peu commodes. Leur fille aînée, Françoise-Flavie, épouse en 1806 Gustave Tessié de La Motte, négociant à Beaufort. Il reprend le négoce de son beau-père en 1808, peut-être même dès 1806. Depuis cette date, les portraits de tous les dirigeants de l’entreprise sont conservés.

Un bel hôtel particulier

Les affaires prospèrent, si l’on en juge par le bel hôtel particulier, à salon en rotonde - actuellement propriété de la Ville d’Angers - que se fait bâtir Gustave Tessié de La Motte sur le nouveau boulevard, en 1825. Cinq ans plus tard, il transmet son entreprise à son neveu Merlet, lequel s’associe à Louis Thuau, seul maître à bord à partir de 1842. Merlet et Thuau font édifier en 1834-1835 un bel immeuble sur le tout nouveau quai Ligny, en plein chantier. En 1861, les fils de Louis Thuau, Paul et Amédée, reprennent l’affaire. À partir de 1880, Amédée s’associe avec le comptable Mérand. L’entreprise a suffisamment de puissance financière pour commanditer - je l’ai découvert au cours de mes recherches pour le précédent « Vivre à Angers » - la construction de la tour Rochereau, de trente mètres de hauteur, lors de l’exposition nationale de 1895.

1902-1907 : vers l’industrialisation

1907, date importante : Amédée cède son fonds de commerce pour 200 214 francs à son petit-neveu, ou arrière-petit-neveu, Gabriel Robin, et à Jean Beauvais, sans doute gendre de Mérand. En fait, Jean Beauvais, tout au moins, est déjà présent dans l’entreprise depuis quelques années, comme « employé de commerce ». Le 15 juillet 1904, on le voit par exemple signer un courrier pour Amédée Thuau. Il donne un sérieux coup de fouet à l’entreprise, bien avant de la racheter. À partir de 1902, Amédée Thuau est soudain pris d’une boulimie de dépôts de marques ou de modèles d’inventions diverses, qui ne peut s’expliquer, à mon sens, que par la présence de Jean Beauvais, admirable inventeur et technicien, quoique sans diplôme d’ingénieur…

Le fait est que, dès le début du XXe siècle, l’entreprise ne se contente plus de fabriquer des pièces détachées permettant aux forgerons d’assembler les instruments aratoires qu’ils souhaitent, mais produit elle-même ses propres machines. Différents modèles de charrues sont déposés en 1902 ; puis, entre 1904 et 1907, des houes, herses articulées, extirpateurs, cultivateur canadien, semoir, râteau à cheval, arrache-pommes de terre, des charrues encore… Une marque d’acier extra-dur est déposée sous le nom de « Cristal ». Des noms, puisés dans le vocabulaire de l'espéranto, destinés à frapper les esprits, baptisent ces nouvelles inventions : « Supera », « Kateno », « Fortika », « Plugilo », « Miriga », « Firmega »… La plus célèbre d’entre elles, un brabant double inventé en 1906, est baptisée « Universala ». Nom bien choisi pour une charrue qui aura une renommée internationale !

Pour construire au mieux toutes ces machines, de nouveaux ateliers de construction sont ouverts en 1907 rue Ernest-Mourin, dans le quartier Saint-Serge en lotissement. L'important n'est plus d'être proche de la rivière, mais du chemin de fer. Au moment où l'atelier de construction Am. Thuau » se transforme en « Établissements Beauvais-Robin », l'avenir de l'entreprise dans la construction d'instruments agricoles variés est bien assuré.

Les Archives municipales se sont enrichies en juillet 2003 des archives de l’entreprise Beauvais-Robin, grâce à son ancien PDG, qui a bien voulu en faire don au patrimoine de la Ville. Avec le fonds de l’entreprise Bessonneau, et celui du Marché d’Intérêt national, tout récemment déposé, c’est l’ensemble le plus riche pour retracer l’histoire économique et industrielle de la ville d’Angers.
Actes de société, assemblées générales, opérations publicitaires, brevets et marques de fabrique, photographies, catalogues illustrés depuis 1906… offrent une matière riche - et nouvelle - à l’historien de l’économie et des techniques agricoles, de 1902 à 1989, et surtout pour la période des années trente à 1975.
Dès leur arrivée aux Archives, les documents ont été classés par un étudiant de l’IEP de Rennes, Samuel Boche, et cotés en 24 J.