"De sac et de corde" : Bessonneau à Angers

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 337, octobre 2009

 

Corderie, filature, tissage : Bessonneau est pendant soixante-dix ans, jusqu’à sa fermeture en 1966, la première industrie de France - sans doute même d’Europe - pour la transformation du chanvre. Son « catalogue » de plusieurs dizaines de milliers de références laisse stupéfait.

 

 

La branche corderie et filature remonte à 1840 : l’usine fondée au nord du jardin du Mail par François Besnard est reprise en 1883 par son neveu Julien Bessonneau (1842-1916), fils d’un sabotier marchand de bois. En 1899, Julien Bessonneau adjoint à son entreprise un deuxième secteur d’activité, avec l’achat de l’important tissage de toiles à voile Raimbault-Ropart, situé à la Chalouère. L’affaire est suffisamment prospère pour absorber en 1901 la Société de l’industrie textile d’Angers qui regroupait les principaux tissages de la ville, dont le plus ancien remontait à 1750 : la Madeleine, le Clon, le Cordon bleu et l’Ecce-Homo. Ainsi naît la Société anonyme des filatures, corderies et tissages d’Angers.

Troisième branche d’activité, la tréfilerie, créée en 1906, est dotée d’une aciérie en 1917 à Montrejeau. En 1919, à leur apogée, les établissements Bessonneau sont devenus tentaculaires : soixante hectares d’usines, six kilomètres de voies, une gare de triage et une population ouvrière de 10 078 salariés.

 

Ses produits - estampillés au coq, emblème de la firme - sont livrés dans le monde entier, de l’Afrique à l’Extrême-Orient, de la Belgique à l’Amérique du Sud et au Canada. Il y en a pour tous les goûts. Pour chaque usage, chaque particularisme local, Bessonneau propose un produit adapté, en chanvre, lin, coton, ou jute, sisal, manille, coco... Les techniques de pêche ne sont pas les mêmes d’un port à l’autre ? Qu’à cela ne tienne : chaque port aura son propre matériel. Le maître mot est diversité.

La corderie produit tous articles, depuis les gros câbles ronds ou plats destinés à supporter les charges les plus pesantes jusqu’aux ficelles les plus fines : fils pour cordonniers, selliers, bourreliers, bouchers, fils de fouet ; ficelles pour matelassiers, tapissiers, brossiers, pour la fabrication de balais, l’emballage, ficelles à champagne, à corset, à tomate… et bien sûr ficelle pour moissonneuse-lieuse, à la marque au « coq doré » déposée en 1905, une grande spécialité de la maison…

 

La ficelle était conditionnée avec du talc, produit bon marché qui augmentait considérablement le poids du produit vendu, ce qui permettait de le vendre plus cher. À ce propos, Louis Boisson, ancien employé administratif au service ficellerie de 1952 à 1955, nous a raconté la mésaventure survenue lors d’une grève des chemins de fer. Après une exposition prolongée au soleil, lorsque les wagons remplis de balles de ficelle sont arrivés à destination, il manquait plusieurs centaines de kilos de produits. La chaleur avait séché le talc et le poids avait diminué d’autant !

Bessonneau produit aussi des filets à provisions pour les ménagères, des filets de protection pour travaux de construction, pour décors de théâtre, des caparaçons pour chevaux, servant de protection contre les mouches. Le domaine sportif est couvert : agrès, matériel de gymnastique, filets de water-polo, d’escrime, de tennis et même raquettes.

 

Tout aussi varié est le secteur du tissage. Les toiles sont très prisées par l’armée et la marine, tuyaux et seaux en toile par les pompiers. Il y a les sangles, courroies, sacs, masques à gaz, tabliers de moissonneuses, toiles à fromage, lavettes, vêtements imperméables. La tente-manteau inventée au début du XXe siècle est très astucieuse : tente la nuit, manteau le jour. La bâcherie assure les besoins de l’aéronautique, des chemins de fer… Pendant la première guerre mondiale, les ateliers de travail du bois, annexes de la bâcherie, prennent une grande extension pour livrer charpentes, hangars d’aviation, tentes-hôpitaux, baraquements et maisons préfabriquées destinées aux villes sinistrées. L’entreprise est le principal fournisseur en chapiteaux pour les cirques internationaux. Elle s’aventure même jusqu’à la tente de tourisme, au parasol et à la remorque de camping dans les années cinquante.

 

La câblerie métallique n’offre pas moins de diversité, avec ses fils d’acier haute résistance pour levage, manutention, ascenseurs, forages pétroliers, mines, marine, ponts, paratonnerres, aviation, horlogerie, motoculture, armatures de pneus, ressorts, freins. En 1958, l’usine de Montrejeau fabrique deux mille sortes de câbles.

Spécialiste des fibres naturelles, et ne désirant pas en sortir, l’entreprise ne prend que faiblement le virage des matières synthétiques, avec le lancement des toiles plastifiées Estoryl dans les années cinquante et du Bessonnyl en 1961. Il est trop tard. Le coq Bessonneau est plumé par l’évolution du marché.

Pour en savoir plus : Jacques Bouvet, Bessonneau-Angers, Angers, Société des Études angevines, 2002, 251 p.