Coutumes de Noël à Angers

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 339, décembre 2009

Noël, du latin (dies) natalis, jour de la naissance du Christ, fête placée par l’Église au solstice d’hiver - renaissance du soleil - n’a pas toujours été célébrée avec sapins et pères Noël. D’où viennent nos actuelles coutumes ?


Le sapin est issu de la symbiose entre rites païens autour de l’arbre sacré et idées chrétiennes d’un arbre de vie qui ne meurt pas, image du Christ. Quoique la première mention d’un sapin de Noël apparaisse à Sélestat en 1521, l’arbre de Noël est une coutume récente. Venant des pays scandinaves, elle s’acclimate en Allemagne aux XVIIe-XVIIIe siècles, mais en France seulement à la fin du XIXe siècle, malgré quelques tentatives à la cour royale et impériale.

Il faut attendre l’occupation prussienne consécutive à la guerre de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine pour voir se généraliser cette tradition germanique à la faveur des fêtes organisées autour du sapin à Paris par l’association générale d’Alsace-Lorraine. Les enfants des réfugiés ne devaient pas perdre le souvenir des coutumes de leur pays. Quant au père Noël, il est issu du Sinter Klaas (saint Nicolas) néerlandais, passé aux États-Unis, puis revenu en Europe. Déjà bien connu à Paris vers 1800, il ne s’implante tout à fait en France qu’aux alentours de 1910-1920. L’Église résiste longtemps en effet : pour les croyants, c’était l’Enfant Jésus qui apportait les cadeaux de Noël.

 

Angers s’inscrit dans cette histoire nationale. Les premiers sapins de Noël sont dressés à l’initiative des protestants et de la bourgeoisie, et font leur apparition, du moins dans un compte rendu de presse, au Noël de 1881. Le Patriote de l’Ouest, journal républicain, cite quatre « arbres de Noël » : l’un à l’école maternelle de la rue de Bouillou (rue Bardoul) à l’initiative d’un conseiller municipal ; celui de la Doutre organisé par Mme Laboulais, femme de l’industriel constructeur-mécanicien, dont la belle-soeur avait une ascendance allemande ; le troisième, dû aux soins du pasteur Audra, au temple protestant ; le dernier à la préfecture.

La fête de l’Arbre de Noël de la société d’Alsace-Lorraine apparaît à Angers le 24 décembre 1884, à la suite de la création d’une section angevine de l’association générale. Son « but éminemment patriotique » lui assure aussitôt un succès considérable. Dès lors, la coutume du sapin de Noël s’enracine peu à peu à Angers. On le décore d’oranges, de pommes, bonbons et jouets, de petites bougies, de drapeaux tricolores : il est lié au souvenir des provinces perdues en 1870.

Les réveillons profanes arrivent en même temps que le sapin : le Café Serin, place Saint-Martin (emplacement du Welcome actuel), annonce par exemple un grand réveillon pour le 24 décembre 1881. Les commerçants commencent aussi à mettre en avant des réclames de Noël, telle l’épicerie Pelé en 1896. C’est le début des vitrines resplendissantes de Noël que développent les grands magasins nouvellement créés : Nouvelles Galeries (1901) et Dames de France (1906). Les vitrines de ces dernières, sur le modèle de celles des grands magasins parisiens, sont réputées. En 1924, elles présentent un très joli petit bal costumé et animé.

 

Mais il est encore un grand absent à Angers. C’est un polichinelle qui apporte les « étrennes » 1881 du Palais des Marchands dans une annonce publiée par Le Patriote de l’Ouest : le père Noël ne devient un personnage incontournable qu’après la seconde guerre mondiale. En 1946, Hubert Morin, spécialiste de radio, frappe un grand coup : il a l’idée de moderniser les déplacements du père Noël ! Adieu traîneau, c’est en automobile qu’il parcourt les rues de la ville, s’arrêtant pour distribuer des sucreries et interviewer, au micro, les petits enfants... Nouveau coup de publicité en 1947 : le père Noël en avion fait des « tours d’inspection sur la ville ».

 

On assiste parallèlement, avec la renaissance du folklore des provinces françaises après 1920, au retour de traditions angevines. Sur l’exemple des crèches provençales, Paul Maudonnet (1919-2010), ingénieur des Arts et Métiers et artiste, crée en 1944 des « santons angevins », d’après une galerie de portraits suggérée par Marc Leclerc. Ce seront les Naulets, ainsi baptisés par le grand poète régionaliste, sur le diminutif de Nau, qui signifie Noël dans le parler angevin. Ils sont présentés en décembre 1944 à l’exposition « Noël en Anjou », au musée Pincé. Et même, ils prennent chair à partir de 1947 à Mazé, sur le voeu du poète Charles Antoine, grâce à Émile Joulain et à la Compagnie Marc-Leclerc, pour chanter les anciens noëls de l’Anjou à la messe de minuit. Depuis lors, la messe des Naulets se déroule chaque année, jusqu'en 2008.

 

Le premier sapin de Noël extérieur est installé par les Allemands sur la place du Château pendant la guerre (communication de Jean-Luc Marais, d'après les souvenirs de son père). Après 1945, il se répand dans l'espace public pendant que naît la coutume des illuminations de rues. La rue Lenepveu est la première à montrer l’exemple en 1948, grâce au coiffeur Paul Manon. Et tous les deux ans, les guirlandes jaunes, rouges, vertes, bleues étincellent de motifs différents : anneaux inspirés des Jeux olympiques, étoiles, tête du peintre Lenepveu, cloches, couronnes ducales…

Depuis 1996 enfin, un marché de Noël, à l’imitation de ceux d’Alsace, anime le mois de décembre. On peut en voir une lointaine origine dans ces petits étalagistes des années 1900-1910 qui prenaient place au Ralliement, à l’approche de Noël. Ils offraient gravures et cartes postales de Noël, oranges et bananes, alors fruits rares. Des cadeaux à eux seuls.