Charles Tranchand, la finesse et la saveur de l'Anjou

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 307, décembre 2006

Après les expositions « Peintres disparus – 1900-2000 », Alexis Axilette et Valentin Huault-Dupuy, la Ville d’Angers, poursuivant son objectif de mise en valeur des peintres angevins, présentera en janvier 2007, au Grand-Théâtre, l’oeuvre de Charles Tranchand (1884-1955).

Pas plus que Fernand Lutscher son maître, fils d’un pâtissier de la rue Baudrière, Charles Tranchand, fils d’un plâtrier de la pauvre rue Saint-Samson, n’est né dans un milieu favorable aux arts. Ses dispositions naturelles le conduisent cependant à l’école des Beaux-Arts, comme « élève architecte », de 1900 à 1904. En octobre 1901, il reçoit le premier prix du cours d’architecture et le premier prix de dessin. Boursier du département, il passe deux ans à Paris dans l’atelier de Cormon, à l’École nationale des Beaux-Arts, ce qui lui permet de découvrir les impressionnistes, de même que Van Gogh et Gauguin.

Revenu dans son Anjou natal, il se lie d’amitié avec le milieu artistique angevin : Berjole, Gobô, Louis-Charles Morin, Adrien Recouvreur, Willy Landelle… C’est déjà le peintre du vieil Angers, qui traque tout le pittoresque des vieilles rues et des monuments, pour les rendre en vigoureux traits de gravure. Dès 1912, il expose chez le galeriste Lasneret, rue Saint-Julien, une série d’eaux-fortes sur le vieil Angers, début d’une suite remarquable d’expositions quasi annuelles. Il collabore aussi avec Lutscher à la réalisation de décors de théâtre.

L’artisanat des poilus

La guerre vient interrompre ce bel élan. Tranchand est incorporé au 6e Génie, dans le groupe projecteurs n° 68, chargé de l’éclairage des opérations militaires. Sa correspondance avec Adrien Recouvreur, conservée au Musée des Beaux-Arts, laisse voir un homme qui avait la passion du dessin et de la gravure dans le sang. La poésie des ruines du village où il est cantonné, Ribécourt-Dreslincourt dans l’Oise, le touche. Il voit partout matière à croquis qui pourront donner des « eaux-fortes puissantes et savoureuses ». Mais le succès de ses bagues le détourne un moment du dessin : « Je cisèle avec des outils faits et trempés par moi des bagues d’aluminium (la matière première fournie par les fusées d’obus boches), comme tout poilu qui se respecte », écrit-il le 10 août 1915.

L’imprimeur G. Grassin lui écrit en décembre 1915 : « J’ai eu entre les mains quelques-uns de vos travaux […]. Je savais que vous étiez un dessinateur émérite, un aquafortiste talentueux, un peintre de valeur, mais je ne savais pas qu’à toutes ces qualités vous joigniez la compétence d’un ciseleur de métier, et maintenant, je crierai au monde entier que Charles Tranchand est un artiste en tous genres. J’attends avec impatience votre retour pour voir les merveilles que vous allez rapporter de votre voyage au front  ». Cette activité a simplement, selon Tranchand, le mérite d’être lucrative : « La grande presse m’attire bien autrement et la perspective de belles planches de cuivre à graver est plus agréable ». Et sa sensibilité artistique aurait autrement trouvé matière à s’exprimer s’il avait eu sa boîte de couleurs…

Talent multiforme

La guerre enfin terminée, il caresse l’espoir – en vain - de devenir professeur à l’école des Beaux-Arts et conservateur du musée. Il se jette donc à corps perdu sur ses plaques de cuivre et de zinc, pour « alimenter les vitrines Lasneret  ». Et on le retrouve partout. Au cinéma Familia (actuelle galerie Le Palace) où il donne une douzaine de grands panneaux (4,20 x 3 m) consacrés aux sites et monuments angevins. En 1923, il fait partie de la Guilde des artistes angevins, formée autour d’André Bruel. C’est l’un des artistes favoris de l’agence de publicité Hirvyl. Il travaille aussi pour le Syndicat d’initiative et illustre beaucoup d’ouvrages d’écrivains angevins : « Paysages et pays d’Anjou » de René Bazin (1926), « Vieilles rues, vieux logis, la Cité » de Mathilde Alanic (1931), « Angers. Promenade autour d’une cathédrale » de Marc Leclerc (1944), « Angers après la tourmente » du chanoine Civrays (1945)… Sur la fin de sa vie, en 1944, il est enfin nommé professeur de peinture à l’école des Beaux-Arts et inaugure, au printemps 1953, le premier cours de gravure créé à l’école.

Charles Tranchand a pratiqué toutes les techniques – pastel, gouache, huile, crayon, gravure – avec une prédilection pour cette dernière. Ses gravures sont puissantes, le trait est pur, nerveux. Il a le sens aigu de l’observation. Ses pastels et gouaches sont harmonieux, il manie subtilement des tonalités douces, ocres, grises, bleues, vertes, toujours « entourant son art de mille soins » comme l’a écrit le compositeur Maxime Belliard.