Au cirque-théâtre ce soir

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 243, février 2001

De 1866 à 1962, la place Molière fut le siège d’une construction circulaire, le cirque-théâtre, véritable salle « multifonctions » de l’époque.

Angers avait une belle salle de spectacle, inaugurée en 1825 sur la place du Ralliement. Or, dans la nuit du 5 décembre 1865, un incendie la réduit en cendres. Deux particuliers, Morel et Racine, saisissent l'occasion pour présenter au maire le projet d'un cirque-théâtre, formule architecturale habile et économique qui permet de disposer, selon les besoins du jour - comme dans certains amphithéâtres gallo-romains - d'une scène ou d'une arène. Ils n'en sont pas à leur coup d'essai, venant de réaliser le cirque-théâtre de Tours, où Racine est architecte.

Moyennant concession gratuite par la ville d’un terrain place Molière pour une période de quinze ans, l'eau et le gaz pour les représentations étant gratuits, Morel et Racine s'engagent à construire en quatre mois un bâtiment fait de matériaux légers : ossature en bois remplie de briques de couleur formant damiers décoratifs, toiture en ardoises, lanternon en zinc. Les bénéfices de l'exploitation les rembourseraient et au-delà. Traité conclu le 5 mai 1866.

Le cirque-théâtre est inauguré le 10 novembre 1866 par un concert. On ne pouvait mieux espérer : si le confort laisse à désirer, l’acoustique se révèle merveilleuse. Dans sa version cirque, le bâtiment accueille 1 600 personnes autour d'une piste de treize mètres de diamètre. Donne-t-on une pièce de théâtre ? Un parterre de 400 places porte sa capacité à 2 000 personnes. La formule du cirque-théâtre connaît un tel succès en France que vingt-quatre autres cirques se sont élevés dans les principales villes.

Très vite, celui d’Angers devient la salle la plus populaire de la ville : populaire par le succès, mais aussi par la fréquentation. Elle abrite toutes les manifestations que l’on ne veut, ni ne peut, organiser au « Grand Théâtre » : spectacles légers, revues de music-hall, variétés, cirque, mais aussi opérettes et théâtre, conférences, meetings politiques, cinéma (la première salle d’Angers), sport, distributions des prix des écoles publiques… C’est par excellence la salle de « distraction d’une grande partie du bas de la ville ».

Si la « bonne société » regarde à aller « s’encanailler » place Molière, en revanche elle s'y rend en force pour les concerts. De l'avis unanime, le cirque-théâtre est comme « une boîte à musique », tant son acoustique est parfaite. Les concerts y deviennent réguliers à partir du 21 octobre 1877, date du premier concert de la nouvelle Association artistique des concerts populaires. Toujours de très grande qualité, donnés tous les dimanches à 13 h 30 jusqu'en 1893, puis tous les quinze jours, les concerts populaires sont très suivis.

Le premier janvier 1899, le cirque-théâtre est racheté par la ville. Désormais, il est exploité par le directeur du théâtre municipal. L'année suivante, 30 000 francs sont affectés à sa restauration qui se termine en 1912 par la reconstruction en dur du bâtiment de scène et par l'électrification en 1916. Jusqu'en 1939, le cirque-théâtre abrite les spectacles les plus variés, mais déjà les cirques l'ont délaissé : ils voyagent beaucoup plus et possèdent leurs propres installations, démontables. La démolition du cirque de la place Molière est envisagée – sans suite – dans l’entre-deux-guerres. Lors de la discussion du plan d'aménagement de la ville en 1934, on évoque son remplacement par une salle des fêtes.

La seconde guerre mondiale lui est fatale. C'est le reflux de ses activités. Le cirque-théâtre tombe bien bas. Pour des raisons de chauffage, les concerts populaires l'abandonnent en mars 1941. Doriot, partisan de la collaboration avec les Allemands, y donne une conférence en avril 1942. Après les bombardements de mai 1944, le cirque sert de morgue. Relégué au rang de simple salle pour des répétitions de la musique municipale ou pour les exercices sportifs des écoles, le bâtiment tombe sous la pioche des démolisseurs en mai-juin 1962.