Au chic parisien : les Nouvelles Galeries

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 317, novembre 2007

Avant l’apparition des hypermarchés, trois grandes enseignes se partageaient la clientèle angevine : le Palais des Marchands (1875), les Nouvelles Galeries (1901) et les Dames de France (1906). Chaque grand magasin avait sa « tonalité ». Aux Nouvelles Galeries, on respirait un chic tout parisien…

En 1900, la Société française des Nouvelles Galeries réunies fondée en 1891-1899 par Aristide Canlorbe décide l’ouverture d’une succursale à Angers dont elle confie les plans à l’architecte Auguste Martin. Le bâtiment est conçu sur le modèle des grands magasins parisiens : plan centré sur une vaste trémie ouverte par des balcons à tous les niveaux, ossature métallique à la Eiffel, tour d’angle « porte-drapeau » à lanternon. Pas d’escalier trop majestueux cependant. Le terrain, certes admirablement situé au bas de la rue d’Alsace, se trouve coincé entre le Grand-Hôtel et la rue des Angles où toute négociation d’achat a échoué. L’un des propriétaires, actionnaire du Palais des Marchands, n’avait aucun intérêt à favoriser le développement d’un concurrent…

Le bel immeuble est inauguré avec succès le 6 avril 1901. Au sous-sol sont présentés articles de ménage, de chauffage, vaisselle et verrerie. Le rez-de-chaussée expose les articles de Paris et tissus ; le premier, la confection, les articles de modes pour dames, la lingerie ; le deuxième étage, l’ameublement. Le magasin vend aussi bien des vélos que de l’alimentation. Mais ce qui frappe surtout aux Nouvelles Galeries, écrit Le Petit Courrier, « c’est le bon goût parfait et le chic tout parisien qui ont présidé à l’agencement des rayons ».

Le mot est lancé ! Le chic parisien… « Cette maison si parisienne » écrit-on lors de l’exposition nationale d’Angers en 1906. Une maison qui ne refuse rien à ses clients, pas même des concerts. Et les témoignages concordent : « Le Palais des Marchands ? C’était campagne par rapport aux Galeries ». Sa clientèle était plutôt rurale, celle des Galeries plus citadine.

Cathédrale du commerce

Le magasin étouffe vite. Une première extension le conduit en 1916 rue Saint-Denis, avec l’annexion des Fantaisies-Cinéma. Voici que le Grand-Hôtel de la place du Ralliement ferme en 1919. Une aubaine ! Des difficultés repoussent l’acquisition et le début des travaux. L’affaire est d’importance. Il s’agit de vider entièrement les différents niveaux de l’hôtel, hormis les combles, pour insérer dans cette coquille vide une vaste ossature en béton armé dont le cadre rigide soutiendra l’immeuble tout entier. Du façadisme avant la lettre ! « Sachant combien les Angevins tiennent à la tradition », les Nouvelles Galeries « se sont bien gardées de toucher à cette façade connue de tous  ».

Sur ce cadre en béton s’appuie un monumental escalier à double révolution, placé devant la grande arche percée dans le mur du premier magasin. Par un subtil agencement, il permet de rattraper les différences de niveaux entre les deux bâtiments. Le vaste hall ainsi dégagé est magnifié à la fois par l’escalier - l’emblème architectural du grand magasin - et par la verrière Art déco « en cascade » qui dispense un éclairage zénithal direct à travers ses différents types de verre : verre américain, cathédrale, opalin… Tels sont les plans de Laville, l’architecte parisien de la société.

Les travaux débutent par le ravalement des façades du Grand-Hôtel, à l’automne 1926. Le gros oeuvre, réalisé entre janvier 1927 et juin 1928, demande beaucoup de précautions. Le sol, fouillé et refouillé par des générations successives, depuis le cimetière qui s’étendait primitivement à cet endroit, n’offre pas la solidité voulue. Pour dégager l’espace, une poutre en béton armé de 11 mètres de portée doit remplacer les anciennes colonnes de fonte. Une marquise entoure l’intégralité du bâtiment, protégeant les devantures habillées d’un revêtement de marbre.

On se croirait à Paris !

Le grand jour de l’inauguration arrive le 14 mars 1929. Vitrines et stands regorgent jusqu’à la débauche d’occasions à prix spécial « inauguration ». À l’heure dite, les abords sont assiégés. Une sonnerie retentit. La foule s’engouffre dans ce « véritable palais du commerce ». Ce ne sont qu’exclamations : Un vrai régal ! Quel cadre superbe ! On se croirait à Paris !

Événements commerciaux et expositions d’actualité rythment désormais la vie du magasin. Des mannequins présentent les collections haute couture. Dans les années cinquante, Alexis Poulain monte son petit manège pour enfants dans le grand hall. Mais à cette date la période faste des grands magasins est close. Il faut trouver un nouveau souffle, celui de la rénovation. Le magasin est radicalement transformé en 1966-1967. Pour gagner en espace, la trémie du magasin primitif est obturée par des planchers. 700 m2 de supermarché alimentaire sont ouverts au sous-sol le 10 novembre 1966. Des escalators sont installés. Ces travaux portent la superficie du magasin à 5 700 m2. Ce qui peut paraître mince par rapport aux 12 700 m2 du premier hypermarché angevin, Record, inauguré en 1969.

Avec la multiplication des hypermarchés - déjà cinq à Angers en 1974 - les grands magasins traditionnels souffrent. Les Dames de France disparaissent en 1985, tandis que les Nouvelles Galeries ferment une à une leurs cinq cents succursales de la belle époque pour n’en plus compter que 58 en 1990. Même si son personnel diminue de plus de moitié, celle d’Angers tient bon, fréquentée quotidiennement par cinq à huit mille personnes en période ordinaire. La société des Nouvelles Galeries est encore assez attractive en 1991 pour être rachetée par les Galeries Lafayette. Le magasin d’Angers est parmi les premiers à bénéficier d’un lifting complet en 1993, avant de passer officiellement sous l’enseigne des Galeries Lafayette le 6 septembre. En 2007, il fait à nouveau peau neuve. L’alimentation est supprimée. Les Galeries se recentrent définitivement sur la mode, la mode, la mode !