Angers en 1848

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 301, mai 2006

Rien de tel pour comprendre une ville qu’une vue aérienne. Les premières représentations d’Angers ont utilisé la technique de la vue cavalière pour donner à voir la ville : Vandelant en 1576, Ménard en 1638. La vue aérienne véritable apparaît avec l’aérostation. Toute une série de vues de villes sont éditées dans la première moitié du XIXe siècle.

La ville d’Angers est comprise dans ces « excursions aériennes ». Il ne s’agit pas encore de photographies aériennes, mais de dessins d’après nature, reproduits en lithographie. Deux vues sont d’abord éditées pour Angers, l’une du peintre et lithographe Jules Arnout (1814-1868), qui expose à Paris entre 1852 et 1867 une série de vues françaises, anglaises et italiennes. La seconde est due au crayon d’Alfred Guesdon, dont le musée de Nantes conserve plusieurs vues de villes. Ces deux vues ne sont pas datées. Une troisième est publiée par Mollay, datée de 1878 et prise à l’aplomb de la gare Saint-Laud.

Le document reproduit ici, de Jules Arnout, est très riche d’informations. Il est exceptionnel dans sa version en couleur. La ville, saisie depuis le sud-ouest, apparaît dans toute la splendeur de sa nouvelle parure de boulevards (1809-1835), remplaçant les vieux remparts sombres de saint Louis. Deux nouveaux ponts ont été ouverts : la Basse-Chaîne en 1838 et la Haute-Chaîne en 1839, ainsi dénommés pour rappeler que la ville était entièrement close au Moyen Âge, y compris sur la Maine, où l’on tendait des chaînes.

À bien y regarder, on s’aperçoit que la ceinture de boulevards n’est pas complètement fermée. L’arrière-plan montre le boulevard des Pommiers (boulevard Carnot) se heurtant à la cale du port Ayrault ! C’est seulement en 1869 que le cercle des boulevards se clôt au nord avec l’ouverture du boulevard Ayrault à l’emplacement de l’ancien port. Autre équipement de ce premier âge de l’urbanisme angevin, les deux quais, de part et d’autre du pont du Centre : le quai Royal, planté d’arbres, et le quai Ligny, entre le pont et le château, achevé en 1841. Il n’y en a pas d’autres.

La date précise de cette vue en ballon est relativement aisée à cerner. Premier indice : l’abattoir au premier plan, perché sur son tertre de remblais pour le maintenir hors d’eau en période de crue. Il a été mis en service le 20 février 1847. Second indice : les ponts. Le pont du centre, aux arches régulières, vient d’être reconstruit. L’ouvrage est achevé en novembre 1847. Bien qu’il soit doté de huit arches, le dessin n’en laisse apparaître que sept. Le pont de la Basse-Chaîne, au premier plan, fournit le deuxième terme de la fourchette de datation : c’est le pont suspendu qui est ici encore en service, avant qu’il ne s’écroule, le 16 avril 1850, sous le pas des fantassins du 3e bataillon du 11e léger, faisant deux cent vingt-cinq victimes.

Notre document peut donc être situé entre novembre 1847 et avril 1850. La date peut encore être affinée. Une cheminée crache une furieuse fumée noire, près de l’abattoir, sur le boulevard de Nantes (Gaston-Dumesnil), à l’emplacement même du futur théâtre du Quai. Il s’agit des établissements Berendorf (future entreprise Laboulais), ateliers de fonderie de fer, chaudronnerie et ajustage, créés en 1836 au Rideau, à la poupe de l’île des Carmes et transférés en face de l’abattoir en 1848. La vue en ballon a donc été réalisée à l’été 1848. D’ailleurs, si elle avait été plus tardive de deux, ou même d’une seule année, l’aurait-on axée au-dessus de la Maine, avec un angle de prise de vue excluant la nouvelle gare de chemin de fer inaugurée en juillet 1849 ? Certes non.

On constate ici que l’extrémité droite de la vue s’arrête à l’enclos de l’ancien monastère de la Visitation, transformé en caserne. L’axe de la vue de 1878, en revanche, s’est déporté vers la gare. La grande rue que l’on voit, bordée sur sa droite par la Visitation, aboutit à une sorte de place, qui n’est que le carrefour entre la rue du faubourg Saint-Laud et la rue du Temple. Ce n’est pas l’actuelle place de la Visitation, ouverte en 1852-1853 dans les jardins de la Visitation, de l’autre côté de la caserne, à la limite de cette vue.

Il est enfin intéressant d’observer le cours de la Maine, qui est encore celui du Moyen Âge. Aucun remblaiement n’a été effectué : le canal des Tanneries, où sont amarrés plusieurs bateaux-lavoirs, dégage nettement l’île des Carmes. Il en sera ainsi jusqu’en 1866. Devant l’école des Arts et Métiers, devant l’hôpital Saint-Jean, point de place La Rochefoucauld, mais des boires, un port. L’ancien pont à moulins des Treilles laisse toujours voir ses vestiges, transformés en établissement de bains sur la rive gauche. Les prairies des luisettes de Boisnet sont à peine en cours de remblaiement. Et précisément ces travaux commencent en 1848.