Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 202, février 1997
UNE VISITE AUX ATELIERS BAYOL EN 1897
Né en 1859 en Avignon, Bayol ouvre à Angers en 1884, après son service militaire, un atelier de sculpture et saisit en 1887 l'opportunité de se lancer dans la construction de manèges, où il y avait une position à conquérir. En 1897, un "groupe de visiteurs angevins" découvre son entreprise et signe dans le Petit Courrier du 28 novembre cet article oublié depuis, qui donne des détails bien intéressants. L'industrie foraine angevine est en pleine expansion, mais cela n'empêche pas Bayol de poursuivre ses activités d'artiste : il expose un "groupe décoratif" et une console Louis XV en bois doré au salon des Amis des Arts de 1897.
En 1898 se crée la "Société angevine des industries foraines en commandite par actions" au capital de 200 000 francs or et, au cours de l'année 1906, l'entreprise déménage dans de plus vastes locaux, route de Paris.
Une industrie nouvelle à Angers
La ville d’Angers est favorisée : elle possède un établissement n’existant nulle part ailleurs qu’en Angleterre, en Belgique et en Allemagne. Il s’agit de la construction de tout ce qui concerne le théâtre forain.
De vrais artistes sont à la tête de toute une légion d’ouvriers, menuisiers, sculpteurs, serruriers, tapissiers, doreurs, peintres, etc…
Angevins, amateurs du nouveau, rendez-vous donc, rue Boreau, dans la vaste cour joignant l’usine à gaz, à cet ancien « Cordon bleu » qui devrait bien s’appeler aujourd’hui le « Cordon doré », vous y serez tout simplement émerveillés.
M. Bayol, créateur et chef de cette originale entreprise sera heureux de mettre sous vos yeux ses oeuvres d’un aspect si émoustillant et pour tout dire si gaulois. En parcourant ses ateliers, il vous initiera à la destination des pièces sans nombre aperçues sous la scie, le rabot ou la gouge de l’ouvrier.
M. Bayol débutait, il y a une dizaine d’années, avec un aide seulement ; aujourd’hui il emploie une centaine d’ouvriers.
Toute une série d’ateliers s’allongent sur un vaste terrain. On y trouve, ici, les membres épars du populaire cheval de bois, ou de l’âne, voire même du zèbre et de l’éléphant, là, les carcasses des chars aux cygnes gigantesques, des gondoles à la proue harmonieusement recourbée, des conques marines agrémentées de leurs dauphins, etc…
Arrêtez-vous aux machines à sculpter : quelle complication dans leur agencement, mais aussi quelle savante application de la mécanique ! En pénétrant dans l’atelier des doreurs, fermez prestement la porte, sinon les légères feuilles du précieux métal quitteront le blaireau pour papillonner au grand désappointement de l’ouvrier attentif.
Montez plus haut, c’est l’atelier du modelage, maître et élèves pétrissent la glaise à l’envi et peut-être même aurez-vous la chance d’arriver au moment où l’artiste s’occupera d’une oeuvre magistrale. Nous vous le souhaitons.
Escadrons d'animaux
Il vous reste… à visiter “le clou de la maison, un vrai musée du mobilier forain”. La variété ne manque pas, jugez-en ?
Escadrons d’animaux aux robes de toutes nuances et superbement harnachés ; portiques de théâtres avec renommées dorées et élégantes ; cariatides entre lesquelles paraderont les sémillantes bayadères ; de longues frises où d’habiles peintres ont représenté des coursiers accomplissant leurs voltiges, des meubles-caisses, des loges aux mille décorations relevées d’or, de riche couleurs et de glaces biseautées où la lumière et le mouvement se jouent de façon fantastique.
M. Bayol, dont l’initiative a donné tout ce charme au théâtre forain, ne devait pas manquer d’encouragements.
Dès mai 1892, la Revue angevine signalait à ses lecteurs son atelier qui ne comptait alors que quinze à vingt ouvriers. Pendant le cours de l’exposition régionale d’Angers, en 1895, cet industriel exécuta, pour le cirque anglais Pinder, et ceci est à noter, un char monumental dont les décors offrent aux regards tous les épisodes de la vie de Jeanne d’Arc. Ce travail grandiose séjourna plusieurs jours sur le boulevard, vis-à-vis de la belle grille du jardin des Plantes ; ce char, très visité, fut surtout apprécié des connaisseurs et attira l’attention sur son auteur : la presse applaudit.
Depuis, M. A. Poutiers, professeur à l’École régionale des Beaux-Arts, à Angers, publiait, dans une revue mensuelle, Le Découpeur français, un long article, où il énumère, en y joignant ses éloges, les différents travaux exécutés dans l’établissement de M. Bayol.
Tout récemment encore, M. Marius Vachon, critique d’art bien connu, en mission officielle en Anjou, dit : « Il s’est fondé à Angers, depuis quelques années, une industrie spéciale originale, celle de la sculpture des chevaux de bois et de la décoration des carrousels de foires, qui fait une concurrence victorieuse aux Anglais, aux Allemands, auxquels on en avait laissé le monopole fructueux ».
Nous applaudissons, sans arrière-pensée, à ces hautes appréciations. M. Bayol est de taille à lutter ; ne lui ménageons pas les applaudissements. Qu’il aille plus loin, même !
Et puisqu’il a songé à récréer la jeunesse, qu’il pense maintenant à l’amusement des tout petits ; qu’il s’occupe des jouets et fasse d’Angers un autre « Nüremberg », il aura bien mérité de ses concitoyens et de ses compatriotes ».
Mise à jour : février 2012