Les lavoirs municipaux

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 232, janvier 2000

La machine à laver est, de l’avis unanime, l’une des inventions marquantes du XXe siècle. C’est déjà la reine du premier Salon des arts ménagers en 1923, mais le public français reste méfiant, sous prétexte que le blanchissage mécanique use. Elle ne se démocratise qu’à partir des années cinquante. Comment lave-t-on auparavant à Angers ?

Bateaux-lavoirs

Les grandes maisons possèdent buanderies bien montées et puits pour l’alimentation en eau. Ménages modestes et ouvriers n’ont guère d’autres ressources que de laver leur linge directement à la Maine. Petit progrès : l’apparition d’ « entreprises à laver », les bateaux-lavoirs, au début du XIXe siècle. Jusqu’à l’avènement de la machine à laver, les bateaux-lavoirs prospèrent sur les rives de la Maine. Ils sont 4 en 1806, 18 en 1880, 28 en 1902. Après la première guerre mondiale, leur nombre décroît peu à peu. Le dernier disparaît en 1957.

Pour beaucoup de familles pauvres, l’usage des bateaux-lavoirs est trop onéreux et, depuis les quartiers éloignés de la Maine, il est bien pénible de porter son linge aux bateaux-lavoirs sur une brouette… Le quartier Saint-Jacques utilise donc le ruisseau de Brionneau et l’étang Saint-Nicolas. Le quartier des Justices, particulièrement déshérité au point de vue de l’hygiène, est aussi éloigné de la Maine que de la Loire. Mares et autres « douves » font alors l’affaire, comme celle qui stagne au milieu de la place du Bourg-La-Croix. On peut imaginer son état sanitaire, surtout en période de sécheresse.

Projets de lavoirs publics

Les municipalités angevines ne se préoccupent pas d’hygiène avant les premières discussions sur l’établissement d’un réseau de fontaines publiques dans les années 1830 et surtout avant la loi du 3 février 1851 par laquelle l’État ouvre un crédit extraordinaire de six cent mille francs pour encourager les communes à bâtir bains et lavoirs publics. Des villes importantes, comme Rouen, en avaient déjà ouvert. Un projet est dressé à Angers sur ce modèle en 1851, utilisant une partie du pont des Treilles ruiné.

Un autre lavoir modèle est prévu par l’architecte Delêtre en 1855 dans le plan d’une cité ouvrière à établir sur l’emplacement de l’ancien hôpital général des Renfermés et des incurables, entre la place la Laiterie et le boulevard de Laval. En 1857, l’industriel Oriolle propose d’abandonner gratuitement à un lavoir public, qui serait placé quai du Rideau, les eaux chaudes provenant de sa filature.

Aucun de ces projets n’est réalisé, mais, avec le développement de préoccupations hygiéniques, l’établissement de lavoirs publics revient comme un leitmotiv au conseil municipal :

  • 1871 : nomination d’une commission pour étudier la création d’un lavoir sur le pâtis Saint-Nicolas.
  • 1872 : reconnaissance de l’utilité des lavoirs publics gratuits…
  • 1879 : rapport prévoyant la construction d’un lavoir sur la promenade de la Baumette pour utiliser les eaux chaudes de la filature Joubert.
  • 1880 : deux conseillers municipaux demandent un lavoir au Bourg-La-Croix.
  • 1882 : un conseiller municipal propose de créer des lavoirs publics.
  • 1883 : les habitants du faubourg Saint-Jacques réclament un lavoir au-dessous du pont Brionneau
  • 1898 : nouvelle réclamation d’un lavoir au Bourg-La-Croix

Un lavoir, enfin !

Hélas, discussions et résolutions restent pendant cinquante ans à l’état de vœux pieux, jusqu’à ce qu’enfin la demande d’un lavoir au Bourg-La-Croix reçoive une exécution : "Un lavoir public établi aux Justices, sur la place du Bourg-La-Croix, rendrait des services incontestables. Aussi la question préoccupe-t-elle depuis longtemps les conseillers municipaux du quartier. Si elle n’a pas été résolue, c’est à cause de l’insuffisance des ressources en eau de la ville. L’alimentation d’un lavoir exige toujours une quantité d’eau considérable" … (rapport de l'ingénieur de la voirie, Arch. mun. Angers, 107 M 2). Le 9 mars 1900, le conseil municipal vote 2 650 francs pour sa construction. Le premier lavoir public d’Angers, conçu par le conducteur de travaux Rohard, existe toujours et a été restauré.

Suivant l’adage « il n’y a que le premier pas qui coûte », d’autres lavoirs sont édifiés par la suite, si du moins plans et devis conservés aux Archives ont été suivis d’exécution : à l’angle de la rue Fénelon et du faubourg Saint-Michel vers 1904, rue Saint-Lazare sur la place des Acacias vers 1912, rue Jean-Jaurès en 1928. Le premier grand lavoir public municipal moderne, de quatorze places – d’ailleurs le seul étant donné sa date tardive de création – est bâti au début des années trente rue Prosper-Bigeard par l’Office municipal d’HLM, en même temps que dix-sept cabines de bains-douches.

La machine à laver est longue à conquérir tous les foyers : en 1962, le lavoir du Bourg-La-Croix affiche encore complet le matin.

"Prévoyante, cette habitante qui vient d’assez loin avec son linge sur une brouette, a préféré l’après-midi plus calme pour faire sa lessive en plein air. Ici, pas de buée, pas de baquets à remuer, de lessiveuse à vider et alternativement ; et l’eau qui court toujours propre ne coûte rien" (Courrier de l’Ouest).