Le jardin fruitier (III) : finalement miraculé

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 236, mai 2000

Le jardin fruitier allait-il sortir indemne des nombreux projets d’urbanisation ou d’utilisation de sa superficie pour la construction d’un bâtiment particulier ?

« Un Athénée »

Voici qu’en 1897, la société des Amis des Arts présente un projet, signé Adrien Dubos et V. Huault-Dupuy, beaucoup plus ambitieux que les précédents : rien moins qu’un palais des Beaux-Arts, « sorte d’Athénée ». Une grande salle d’exposition prendrait place dans l’entrée du jardin. Lui succéderait une longue galerie conduisant au musée d’un côté et donnant accès de l’autre à « une grande salle d’auditions musicales à construire dans la donnée du Victoria Hall de Genève ». Ce beau projet est ajourné par le conseil municipal.

Toutefois, le terrain s’épuisait et les arbres végétaient. Profitant du legs Hérault, la ville vote en 1901 le transfert du jardin au pâtis Saint-Nicolas, dans l’enclos de l’asile des vieillards. Las ! Le terrain proposé ne convient pas. La roche affleure. Il y a peu de terre végétale. Pour quelques années encore, le jardin fruitier reste en place.

Encore l’avenue David !

Cela n’empêche pas la ville de reprendre un projet vieux de soixante ans : l’entrée du musée des Beaux-Arts sur l’avenue David-d’Angers, traversant le jardin fruitier. Des études d’agrandissement du musée, avec façade monumentale sur la future avenue, sont menées entre 1904 et 1920. La conclusion tient en quelques mots, prononcés par le maire Victor Bernier au conseil municipal du 1er juillet 1921, lorsque l’on parla de transférer la statue de David d’Angers de la place Lorraine au jardin fruitier, « où elle serait érigée sur une nouvelle avenue conduisant au musée »… : « Autrefois on avait étudié un projet d’entrée au musée par l’avenue envisagée, et si je me souviens bien, pour arriver à faire une ouverture imposante et digne de notre riche musée, il aurait fallu consentir six à huit cent mille francs. Multipliez par quatre, vous obtenez près de trois millions pour faire ce travail à l’époque actuelle ».

Tergiversations, sens aigu de l’économie, guerre mondiale, inflation laissaient le jardin fruitier vierge de toute transformation… et le musée dans une situation peu reluisante. Moins reluisante encore était la situation de l’École régionale des Beaux-Arts, rue du Musée, à tel point qu’il fallut étayer le bâtiment. La décision est prise en 1923 : elle sera reconstruite… au jardin fruitier, mais à l’économie et de façon qu’elle occupe le moins de place possible, le long du mur de droite. Un bâtiment peu affriolant, inauguré tout de même le 16 janvier 1927.

Pendant ce temps, le jardin avait été agrandi en 1923-1924 de l’ancien jardin de l’abbaye Toussaint qu’avait enfin bien voulu céder l’autorité militaire de la Manutention et, miracle, le projet de transfert du jardin fruitier – agité depuis 1840 – aboutit en 1925. Dans une lettre au maire en 1924, le président de la société d’Horticulture s’était fait insistant : le problème du déplacement se pose de façon plus pressante que jamais, « puisque la ville, obligée de disposer de la moitié du jardin [affirmation exagérée] pour y construire l’École régionale des Beaux-Arts, ne saurait remettre à plus tard sa décision sans craindre de compromettre l’enseignement donné par la Société ». Ces arguments portent : le 9 janvier 1925, la municipalité décide d’acheter le terrain (plus de 2,5 hectares) déniché par la société d’Horticulture, rue Desmazières. Le nouveau jardin modèle est inauguré le 16 juin 1927.

À l’anglaise

Que devient l’ancien jardin fruitier, rebaptisé « jardin des Beaux-Arts » ? Quoiqu’on trouve encore trace, en 1927, d’un projet de construction de magasin de décors pour le théâtre dans le cadre du jardin, on ne songe plus à le lotir. On le redessine à l’anglaise. Pendant la seconde guerre mondiale, l’ensemble est particulièrement maltraité. L’autorité d’occupation y installe un centre de radio dont l’accès est interdit à toute autorité française. Au cours des combats pour la libération, l’École des Beaux-Arts est incendiée. Après une longue période d’abandon, les pavillons des sociétés savantes et de la conciergerie sont inutilisables.

Le jardin est restauré, mais les projets pleuvent encore dru : théâtre de verdure (1948, 1956) et même la première piscine de la ville, finalement établie à la Baumette. On se contente de remplacer l’ancienne École des Beaux-Arts par le nouveau restaurant universitaire en 1957. De grandes fêtes se déroulent au jardin, concerts et ballets sont très fréquentés dans ce cadre ombragé. Le ci-devant jardin fruitier sort miraculé d’une vie agitée : c’est un bel espace vert apprécié en plein cœur de la ville.