Un édit de Nantes préparé à Angers

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 215, avril 1998

Du 7 mars au 12 avril 1598, Henri IV fait d'Angers sa capitale d'un moment. Pourquoi un si long séjour ? L'acrostiche inventé sur le nom d'Angers livre une partie de la réponse :

"Antique clef de France,
Necteté de souffrance,
Garant contre ennemys,
Estappe d'asseurance,
Recours de secourance,
Seccurité d'amys"

Face à la Bretagne longtemps indépendante, Angers, bien située aux marches du royaume, était une place forte d'importance.

L'autre partie de la réponse, le contexte politique de cette fin du XVIe siècle le donne. Après la reprise aux Espagnols, le 19 septembre 1597, de la ville d'Amiens, Henri IV peut tourner toutes ses forces vers le dernier bastion de la Ligue, allié des Espagnols : le duc de Mercoeur, gouverneur de la Bretagne. La situation de ce dernier n'est plus tenable : l'ensemble du royaume de France est revenu dans l'obéissance royale, grâce aux succès militaires du roi et à sa conversion au catholicisme.

Dans les premiers jours de 1598, le roi envoie ses armées vers la Bretagne et se met en chemin par la vallée de la Loire. 14 000 hommes convergent vers la Bretagne. Angers sert de ville de garnison.

Dès le 22 janvier, le conseil de ville réunit une assemblée générale des autorités pour préparer la venue du roi. Le sieur de La Rochepot, gouverneur, désire que les habitants reçoivent le roi "avec tout honneur et respect et luy preparent un logis". On choisit le logis Barrault. L'agenda de ce qu'il convient de faire est dressé : achat de vin, de confitures et de bougies pour les présents au roi et à sa cour ; de poudre pour faire la montre générale de la milice de la ville et donner du canon lors de l'entrée royale. Les frais du séjour royal seront couverts par une levée de douze cents écus sur les habitants. Le moyen est tout simple : doublement de la taxe d'octroi sur l'entrée du bois et des chandelles.

Jeu de paume au Pélican...

Quant au duc de Mercoeur, il prend les devants et envoie sa femme aux Ponts-de-Cé pour négocier sa soumission au roi. Le roi arrive le 6 et couche aux Ponts-de-Cé. Le lendemain 7 mars, Henri IV fait son entrée à Angers. Après avoir inspecté la milice bourgeoise en armes et dressée en ordre de bataille aux environs du début de l'actuelle rue de Brissac, il se rend, escorté, au portail Saint-Aubin où le maire lui présente les compliments et les clefs de la ville. Sur quoi, Philippe Goureau, maître des requêtes et "surintendant de la justice" au présidial, fait une petite harangue, n'omettant pas de "remonstrer les misères et calamitez que le païs d'Anjou a souffert". Adepte de la simplicité, Henri IV refuse alors l'entrée traditionnelle, qui menait les rois, sous un dais, à la cathédrale. Il est conduit, non au logis Barrault, mais à l'hôtel Lesrat de Lancreau (actuel petit collège Saint-Martin, rue Chevreul) d'où il ressort aussitôt pour aller jouer une partie de jeu de paume au Pélican avec ses compagnons d'Épernon et Lavardin.

C'est seulement le lendemain dimanche 8 que le roi se rend à la cathédrale pour entendre la messe. Il reçoit à genoux, à l'entrée de l'église, la bénédiction de l'évêque. Le 9 mars, nous renseigne ponctuellement Jean Louvet dans son journal,

"le roy est allé aulx cordeliers où il a ouy la messe et le sermon qui a esté dict par le prédicateur de Sa Majesté, et à l'après-disnée, Saditte Majesté est allée au chasteau de cette ville d'Angers".

Henri IV multiplie les gestes symboliques pour rallier tout à fait les catholiques d'esprit ligueur. Le 15 mars, il suit la procession des Rameaux, une palme à la main et son collier de l'ordre du Saint-Esprit sur les épaules. Toute la cour y participe. Arrivé à Saint-Michel-du-Tertre, le roi entend le sermon d'un père Cordelier depuis le presbytère, face à l'église.

"Aiant… ouy attentifvement la prédication, Saditte Majesté a sorty dudict logis et est venue se mettre à genoux davant une croix toutte couverte de rameaulx, et après en avoir prins, et faict sa prière, a entré en laditte église où il a esté à la messe, où la passion a esté répondue en muzique, et, à l'après-disnée, Saditte Majesté est allée au couvent de la Basmette" (Journal de Louvet).

... et partie de chasse au Plessis-Macé

Le jeudi saint, Henri IV lave les pieds à treize pauvres au palais épiscopal. Il ne manque aucun office, touche les malades des écrouelles sur le parvis de la cathédrale suivant la tradition royale, pose la première pierre du couvent des Capucins en Reculée le 4 avril, mais n'en oublie pas pour autant les agréments de la chasse - son grand plaisir - au Plessis-Macé et ses objectifs politiques : la reddition du duc de Mercoeur et la préparation de l'édit de pacification pour "ceux de la religion". Un accord est signé avec les émissaires de Mercoeur le 20 mars : il renonce à son gouvernement de Bretagne moyennant l'énorme somme de 4 295 000 livres, mais doit consentir au mariage de sa fille unique Françoise avec César de Vendôme, fils naturel du roi et de Gabrielle d'Estrée. Le contrat de mariage est signé au château le 5 avril. Pour Henri IV, c'est "le plus grand mariage qui soit en mon royaume".

Cela fait, le roi quitte définitivement Angers pour Nantes le 12 avril, laissant son grand conseil au couvent des Jacobins mettre la dernière main à la rédaction de l'édit qui est signé à Nantes, vraisemblablement le 30 avril (l'édit est seulement daté d'avril 1598). Les longues tractations depuis l'assemblée protestante de Châtellerault ont abouti. La rédaction de l'édit à Angers, comme sa signature à Nantes, passent inaperçues sur le moment. À l'époque, l'édit n'est pas appelé "édit de Nantes", mais édit de pacification. D'ailleurs, la paix de Vervins, signée avec l'Espagne le 2 mai suivant, l'éclipse entièrement.

L'Angevin Jean Louvet ne fait allusion à l'édit qu'en 1599, croyant même qu'il était du mois de janvier :

“Audict an 1599, l’édict de janvier, faict en faveur des huguenotz, a esté publié au siège présidial d’Angers, et, en exécution d’icelluy, il est venu en ceste ville des commissaires pour leur bailler ung lieu proche de la ville d’Angers pour faire leur presche, ce qui a esté empesché par les habitants, et, nonobstant leur opposition, lesdictz commissaires leur ont baillé une maison au bourg de Sorges pour y faire leur presche qui fust en l’année 1600”.

Sous le terme d'habitants, il faut plutôt entendre échevins : à plusieurs reprises en 1599, ils s'opposent en de fermes remontrances aux commissaires députés pour l'exécution de "l'édict et déclaration des précédens édictz de pacification".