Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers et Claude Le Naourès Archiviste adjointe
Vivre à Angers n° 227, juillet-août 1999
La première crèche municipale, ouverte rue Hanneloup en 1949, a pour origine le legs d'une Angevine, Marie Placé.
Pendant très longtemps les municipalités successives ne voient pas l'utilité d'ouvrir une crèche. Ainsi, le legs précurseur du major Allard, en 1856, tombe à plat : la ville affecte aux écoles maternelles les fonds prévus pour la crèche. L'idée du major est reprise par Mgr Freppel, évêque d'Angers, qui fonde l'oeuvre des crèches en 1873. Quatre établissements privés, dirigés par des religieuses, sont ouverts dans les paroisses de Saint-Maurice, Saint-Serge, la Trinité et la Madeleine. Des subventions leur sont accordées par la ville. En 1902, Julien Bessonneau fonde une crèche spéciale pour ses ouvrières. Cela semble suffisant et la ville, légataire universelle d'Alexandre Hérault en 1899, ne suit pas ses prescriptions pour l'établissement de deux crèches, laïques.
Le legs Placé
Voici que par testament du 1er juillet 1919, un nouveau legs est fait en faveur de la ville, cette fois entièrement et expressément réservé à la création d'une "Institution maternelle", comprenant crèche et garderie d'enfants. La testatrice, Marie Placé, "excellente personne, ayant une pointe d'originalité, mais dont le principal trait de caractère était la bonté", aura-t-elle plus de chance que ses prédécesseurs ? Elle décède le 18 décembre 1921. Son legs est définitivement accepté le 10 novembre 1922.
Un premier projet voit le jour en 1923, mais reste sans suite. Le 11 juillet 1933, le docteur Couffon présente au conseil municipal un brillant rapport sur les avantages de la création d'une "pouponnière". Il est adopté. Ce rapport s'inscrit dans un mouvement national de protection de l'enfance. Suivant la circulaire ministérielle de 1931 préconisant la lutte contre la mortalité infantile par l'instauration dans chaque département d'un centre de protection maternel et infantile, une Fédération des oeuvres angevines de protection de l'enfance voit le jour et appuie les projets de la municipalité.
Comme le souhaitait Marie Placé, c'est à l'angle des rues Hanneloup et Saint-Joseph que s'élève le bâtiment de la crèche. L'emplacement ne fait pas l'unanimité : le quartier n'est pas assez ouvrier. Les travaux s'étalent de 1934 à 1939 sous la direction de l'architecte André Mornet, mais la guerre renvoie une fois encore le projet aux calendes grecques. En 1940, pour éviter la réquisition des bâtiments par l'occupant, la chambre des Métiers prend possession des lieux. Elle les quitte en 1946, non sans quelques dégradations causées par des modifications successives.
La Goutte de lait municipale
L'adjointe au maire Germaine Canonne est à l'origine de la réappropriation des locaux. Ses multiples interventions ont raison des réticences : elle obtient dès 1947 l'ouverture d'une Goutte de Lait municipale, puis enfin de la crèche, le 25 avril 1949. "Marie-Placé" peut accueillir 50 enfants, du lundi au samedi, entre 9 h et 17 h : 20 petits qui ne marchent pas, 30 de quinze mois à trois ans. Ils y reçoivent les soins hygiéniques qu'exige leur âge. Outre la directrice, Jacqueline Couronné, le personnel comprend une infirmière, trois berceuses, deux gardiennes, deux femmes de service, une cuisinière, une buandière et une lingère.
L'accueil des enfants est soumis à de strictes règles d'hygiène. Les parents n'ont accès qu'au hall pour déposer les enfants entre les mains des berceuses et gardiennes. Les plus petits sont ensuite baignés et rhabillés, les grands sont douchés le soir. Chaque enfant dispose d'un trousseau, fourni par la ville. L'entretien du linge est assuré par la buandière et la lingère. Lourde tâche qui peut représenter jusqu'à 120 kg de linge par semaine.
Diététique années Cinquante
Les enfants sont nourris selon les prescriptions médicales, mais sans tenir compte des rythmes propres à chacun. Les menus de 1950 prévoient : pâtes, purées, jus de viande, viande hachée, crème aux oeufs, confiture. Le lait est fourni par la Goutte de lait et provient des vaches de Saint-Nicolas.
Le tarif journalier, d'abord fixé à 100 F par jour, passe à 130 F dès 1950 sauf pour les familles les plus modestes. Les crèches privées, dont les prestations sont moindres, demandent 80 F par jour. À titre de comparaison, le SMIG est de 12 146 F à Angers en 1950 (année de son instauration) et une baguette coûte 21 F.
Si certaines dispositions subsistent jusque dans les années 1970 - parents tenus à l'écart, "uniformes" pour les enfants - dès le milieu des années cinquante les considérations hygiénistes cèdent le pas aux soins affectifs et éducatifs nécessaires à un développement harmonieux de l'enfant. Les éducatrices de jeunes enfants font leur apparition vers 1980, la gymnastique du nourrisson en 1981.
À partir de 1950, la fréquentation de "Marie-Placé" ne cesse de croître. En 1962, pour 50 enfants inscrits, la liste d'attente comporte 60 noms. Les besoins vont augmentant, corollaire naturel de l'accroissement des naissances - 3 754 en 1958 contre 2 178 en 1948 - et de l'évolution de la société : nécessité d'avoir deux salaires, femmes seules…
De ce succès naît en 1970 la deuxième crèche municipale d'Angers, à Belle-Beille.
Mise à jour : 2 juillet 2019