Le jardin fruitier (I) : une école modèle

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 234, mars 2000

Mis à jour le 27 juin 2022

Le développement de l’horticulture en Anjou n’a que deux siècles. Au début du XVIIIe siècle, le conseil de ville doit faire venir d’Orléans les cinq cents ormes destinés à la replantation du Mail. Mais bientôt, des jardiniers ouvrent des plantations (les Leroy, Chatenay…), les amateurs se multiplient, les « horticulteurs » apparaissent.

En 1828, Millet, de Beauregard et Blordier-Langlois créent la Société d’Agriculture, Sciences et Arts d’Angers, reconstituant ainsi l’ancien Bureau d'agriculture (1761) et l’Académie d'Angers (1685). La nouvelle société se propose en particulier de perfectionner les diverses branches de l’agriculture et tout spécialement d’améliorer les différentes espèces de fruits existantes, alors peu nombreuses. Aussi forme-t-elle le projet d’ouvrir une école d’arbres fruitiers « dans laquelle toutes les bonnes espèces seraient cultivées, mises en expérience, greffées et taillées selon les principes de l’art du jardinage » et jette son dévolu sur le jardin du Muséum (musée des Beaux-Arts), augmenté de l’espace laissé libre par le tracé du nouveau boulevard des Lices (du Roi-René) et la démolition des fortifications.

De meilleurs fruits

Le 27 juin 1831, le chimiste Chevreul (président de la société d’Agriculture), G. Lachèse, Millet et Desvaux (directeur du jardin des Plantes) en demandent la concession à la ville. Le projet de jardin fruitier modèle remporte aussitôt l’adhésion de la municipalité, comme étant « très avantageux au commerce des pépiniéristes déjà très considérable, qui prend tous les jours un nouvel accroissement », aux « amateurs et même aux consommateurs en propageant le goût des plantations procurant de plus belles, de meilleures espèces de fruits et en plus grande quantité ».

Une commission de la société d’Agriculture, composée des pépiniéristes Lebreton aîné, Audusson père, de l’ingénieur Fourrier, de Desvaux et surtout du botaniste Millet de La Turtaudière, cheville ouvrière de tout le projet, préconise les travaux préparatoires suivants en 1832 : arrachage des arbres du jardin, à l’exception des pieds de vigne qui garnissent les murs ; démolition du colombier voisin du puits ; nivellement à l’aide des bonnes terres qui garnissent l’ancien chemin de ronde du château ; labourage du jardin jusqu’à un mètre de profondeur pour enlever pierres et racines.

Le projet est retardé par la décision du conseil municipal de vendre deux parcelles du jardin, le long du boulevard, comme terrain à bâtir sur lequel les acheteurs devront élever chacun un pavillon identique, suivant les plans qui leur seront fournis. Le prix de la vente serait affecté à l’aménagement du jardin fruitier et à la construction des bâtiments nécessaires à la société d’Agriculture. Cette combinaison une fois admise et l’ordonnance royale du 29 juin 1834 autorisant l’établissement du jardin, la municipalité cède à la société d’Agriculture la jouissance du terrain pour vingt ans (acte notarié du 16 décembre 1834), s’oblige à fermer le jardin par une grille sur le boulevard et à faire construire conciergerie et fruiterie.

La superficie concédée alors ne forme pas la totalité de l’actuel jardin des Beaux-Arts, composé en fait de deux parties détachées des jardins de l’abbaye Saint-Aubin. Elle ne correspond qu’au jardin du logis Barrault, vendu par Saint-Aubin en 1709 au grand séminaire. Celui de l’abbaye Toussaint, vendu en 1419, n’a été réuni au premier qu’en 1923, après entente avec le ministère de la Guerre qui en avait l’usage pour sa manutention des vivres installée à Toussaint depuis le début du XIXe siècle.

Le directeur Millet

Aussitôt Millet, directeur du jardin fruitier, se met au travail. Il écrit dans toute l’Europe pour avoir plans, conseils et espèces. Le duc d’Arenberg (Belgique) lui envoie toutes celles de sa collection ; sir Knight, président de la société d’Horticulture de Londres, donne beaucoup de fruits tandis que M. de Candolle, directeur du jardin botanique de Genève, adresse quatre-vingts variétés de raisins de table et la plupart des espèces de pruniers. Le Luxembourg et le potager de Versailles font présent de vignes. Collectionneurs et pépiniéristes français offrent des dizaines de variétés de poires.

En 1837 enfin, l’installation du jardin fruitier et de ses bâtiments est terminée. L’inauguration a lieu le 15 juin 1838, à la satisfaction générale, lors de l’exposition d’horticulture organisée par la société d’Agriculture. Il était difficile, écrit le Journal de Maine-et-Loire, « de tenir exposé aux yeux du public, pendant plusieurs jours, un grand nombre de fleurs précieuses… C’est cependant à ce but que sont arrivés, de la manière la plus élégante, les commissaires de la section d’horticulture ».

« La première partie du jardin fruitier était circonscrite par deux galeries et une rotonde avec arcades, sous lesquelles étaient placées toutes les plantes exposées de manière à ce qu'on pût les voir, les étudier et ne pas y toucher. Sur le frontispice de la rotonde parallèle à l'entrée du jardin, se lisait une inscription tracée en guirlandes de verdure, et indiquant les départements appelés à concourir à l'exposition. Enfin, entre les deux galeries latérales, était un massif d'arbustes autour duquel circulaient les personnes attirées par la réputation si bien méritée de notre horticulture. Au premier coup d'oeil, cette manifestation horticole était charmante et digne de rivaliser avec celles qu'on peut voir dans les grandes villes du royaume : elle prouvait tout le goût de MM. Millet et A. Leroy, chargés spécialement de la préparer et de M. Savaton-Varannes, tapissier, qui a décoré les galeries ».