Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 212, janvier 1998
2e série
Alexandre Dumas, "Mes mémoires", 1830 :
"… Guidé par Pavie , je me mis à parcourir la ville et ses environs. Excellent Pavie ! Il me montrait, avec une indignation toute d’art et de nationalité, des ouvriers qui, par l’ordre du préfet, et sous la direction d’un architecte du cru, convertissaient en consoles les mascarons de la cathédrale ! De sorte que vous pourriez voir, maintenant - à votre grande satisfaction si vous n’aimez pas ces figures merveilleusement grimaçantes que le Moyen Âge clouait à ses cathédrales - un entablement roman soutenu par des consoles grecques dans le genre de celles de la Bourse…
Disons de plus qu’on grattait cette cathédrale sans respect de ce bruni qu’il avait fallu huit siècles pour étendre à sa surface ; cela lui donnait un air de pâleur maladive qu’ils appelaient de la jeunesse… Nous descendîmes sur la promenade ; je passai devant le vieux château, construction du Xe siècle entourée de fossés, flanquée de douze tours massives ; on dirait l’ouvrage d’un peuple et l’habitation d’une armée.
- Ah ! me dit mon pauvre Pavie avec un soupir, on va l’abattre… Il gêne la vue ! Comme, ce jour-là, je reçus enfin une lettre… et, rien ne me retenant plus à Angers, je sautai dans une voiture qui passait, tant il me tardait de quitter cette ville de démolisseurs, et je me fis conduire aux Ponts-de-Cé”
François Coppée, article dans le journal "La Patrie", 29 mars 1883 :
"Angers, où nous recevons la plus large et la plus cordiale hospitalité, nous plaît beaucoup et nous ne résistons pas au plaisir d'y flâner encore un ou deux jours. (…)
Hier, flânant auprès du vieux château, après avoir admiré ce grandiose monument de l'architecture militaire au Moyen Âge, ces murailles géantes, ces tours énormes, dont la base, pareille au pied d'un monstrueux éléphant, s'écrase dans l'herbe des fossés, nous sommes allés nous asseoir sur la balustrade de la terrasse qui est à quelques pas de là et qu'on appelle le "Bout-du-Monde". Nous avons contemplé longtemps la belle vue dont on jouit de ce point élevé : à nos pieds, les toits d'ardoises des bas quartiers, ces toits d'un bleu sombre qui ont fait surnommer Angers la ville noire ; plus loin, devant nous, le faubourg de la Doutre et ses fins clochers dans le ciel ; à gauche le cours de la Maine à travers les prairies inondées, et là-bas l'harmonieux horizon des collines. La bonne minute ! Le froid et aigre vent de mars était tombé, et à travers les déchirures des nuages roux et comme chargés de grêle, apparaissaient de grands espaces d'azur, d'un azur plus pur, déjà plus chaud que celui de notre ciel fumeux de Paris".
Paul Viriot, "Croquis angevins", 1890 :
"Nous avions longé un petit bras qui enserre amoureusement des îlots délicieux, où les ormes enguirlandés de lierre donnent l'illusion des paysages de Cooper, quand nous arrivâmes en face de Bouchemaine. Avec un fleuve nouveau, le décor était changé. Au loin, Angers apparaissait noyé et grandi dans le vague des brumes vaporeuses. Mais parmi ses nombreux clochers et ses grands édifices, ce qui frappa le plus nos regards et provoqua notre premier salut de bienvenue, c'est la tour Saint-Aubin. Sa masse imposante, couleur de rouille séculaire et de couchant, semblait fouiller le ciel et protéger, en tant que leur aïeule, tous les monuments d'alentour. Nous la contemplâmes longtemps. La découpure de sa silhouette devenait de plus en plus distincte à mesure que nous avancions entre les rives nues, tirées comme au cordeau à travers une immense prairie, où la Maine coule tranquille et recueillie avant de se donner à la Loire. Il ne lui manque rien de la majesté que donnent les siècles. (…) La tour des Vents, avec laquelle elle offre tant de traits de ressemblance et qui domine encore la plaine sèche de l'Attique et ses oliviers au pâle feuillage, était inséparable des souvenirs des Athéniens. Que la tour Saint-Aubin soit notre Tour des Vents".
Mathilde Alanic, dans la revue "La Province d'Anjou", 1936 :
"La ville que j'évoque s'enfermait dans des limites beaucoup plus restreintes. La campagne était à deux pas. Insensiblement, infatigablement, des rues se sont tracées, remplaçant par des murs, par des maisons, les haies des jolis chemins qui rayonnaient au-delà des faubourgs, vers les pépinières embaumées, les bords de la Loire et les gentils villages environnants, Sorges, Sainte-Gemmes, Avrillé. (…) En cette longue succession d'années, bien des aspects de la ville se sont modifiés. La Maine s'étendait jusqu'au devant de l'École des Arts et Métiers et du musée Saint-Jean. La vaste place de La Rochefoucauld a été conquise sur les eaux. Des chaînes barraient encore le pont de la Haute-Chaîne et, pour le franchir, on acquittait un droit de péage de deux sous. La place du Ralliement n'offrait pas une surface plane, mais ravinée, bosselée, elle eut fourni un terrain propice aux amateurs de ski, en temps d'hiver.
La reine de nos rues était alors la rue Saint-Laud, bien proche de son déclin néanmoins. Irrégulière, tortueuse, étranglée, entre des pignons en saillie créant des angles rentrants et sortants, elle n'ouvrait pas moins au rez-de-chaussée de ses façades à poutrelles les magasin les plus brillants et les mieux achalandés. (…) La torpeur ambiante se rompait brusquement à quelques dates fatidiques. Le 1er janvier était un jour de frénétique et générale agitation. Le signal en était donné, dès le matin, par la musique des pompiers, qui allaient, de quartier en quartier, rendre un hommage bruyant aux autorités municipales. L'aubade étant récompensée par une rasade de vin d'Anjou, personne ne s'étonnait qu'à la fin de la tournée le piston émit des tonitruances joyeuses et que les jambes des respectables musiciens eussent peine à trouver l'aplomb".