Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 235, avril 2000
Après le succès de l’inauguration du nouveau jardin fruitier, la société d’Agriculture crée une section spéciale le 2 septembre 1838, le Comice horticole, dont Millet de La Turtaudière, déjà directeur du jardin, est élu président. Il reste à sa tête jusqu’en 1858. Il s’agit d’encourager l’obtention de nouveaux fruits et de nouvelles fleurs en Maine-et-Loire, de les décrire, de les dénommer. Deux commissions sont constituées : fleurs et légumes, fruits. Afin d’assurer la diffusion des nouveautés, le Comice décide d’organiser des expositions régulières, avec bazar horticole à partir de 1841, pour favoriser la vente des produits.
De bonnes poires
En 1842, le jardin compte dans ses collections 600 variétés de poiriers, 450 de vignes, 400 de pommiers, 80 de pruniers, 58 de pêchers, 54 de cerisiers, 40 de groseilliers, 20 d’abricotiers, 5 d’amandiers. Le Comice fait la sélection des espèces et publie sous la plume de Millet de nombreuses brochures sur l’horticulture. En mai de la même année est ouverte au jardin une exposition de roses, la première du genre en France. Nouvelle première en août et en octobre : une exposition de dahlias (le dahlia, fleur nouvelle à l’époque, a été importé du Mexique vers 1800).
Le jardin fruitier se distingue de toutes les façons. Millet est secondé dans ses recherches de nouveaux fruits par le jardinier du Comice, Hilaire Dhommée, qui sème sans désemparer des pépins de poires. Il obtient en 1847 la poire Beurré (dénommée Beurré Millet en 1849), la Fondante du Comice en 1849 et surtout, la même année, la Doyenné du Comice, ainsi baptisée à cause de son excellence . Une plaque à l’entrée du jardin actuel rappelle cette obtention.
Or, on est stupéfait de l’apprendre, à peine le jardin fruitier est-il constitué - au prix de 24 521,57 francs de dépense - que la municipalité songe à le transférer dans un endroit plus approprié, plus aéré. Sans doute venait-elle de s’apercevoir que le jardin ferait une entrée idéale pour son Muséum (à cette époque l’appellation concerne l’ensemble des musées), installé au logis Barrault. Il suffirait de percer une rue à travers le jardin et une seconde perpendiculairement, pour relier la rue Toussaint à celle des Lices. C’est ainsi que l’architecte Villers dresse en 1841 un « Plan général du muséum…, du jardin fruitier… avec indication d’une place publique et de rues dont l’exécution aurait pour résultat de lier entre eux tous les divers établissements scientifiques de la ville et d’établir une communication facile et indispensable entre le quartier des Lices et celui de Toussaint ».
L’avenue David-d’Angers
Ce projet reste dans les cartons, mais le conseil municipal ne perd pas de vue la mise en valeur de ses musées : le « retour à la ville du jardin fruitier modèle qui a bientôt atteint le but de son institution » est signalé comme souhaitable le 8 juin 1847. « L’emplacement qu’il occupe pourrait être converti en une rue monumentale conduisant du boulevard des Lices aux établissements scientifiques actuellement circonscrits par des rues étroites et tortueuses ».
Voici qu’en novembre 1847, le jardin fruitier est réquisitionné pour la construction de deux facultés (Lettres et Sciences) : l’architecte Boutrouë conçoit deux projets de bâtiments néo-classiques, au beau milieu du terrain, finalement rejetés par le conseil à cause de la dépense estimée à 256 200 francs. Le jardin est sauvé ! On n’abandonne cependant pas l’idée de son transfert, mais les propositions du Comice horticole, devenu en 1863 société d’Horticulture, ne sont pas agréées par la ville et celles de la ville ne le sont pas par le Comice… Cette même année 1863, la ville met à l’étude le projet d’un escalier monumental reliant le musée au jardin. Elle se contente finalement de baptiser l’entrée du jardin « avenue David-d’Angers », en attendant mieux…
Les projets d’urbanisme de 1841 sont repris en 1871, puis en 1886, mais le rapport de l’ingénieur de la ville est sans appel. Les obstacles se conjuguent, patrimoniaux et financiers : « Le projet de construction d’une rue parallèle aux bâtiments du musée et destinée à mettre en communication la rue Toussaint avec la rue des Lices… n’a pas abouti par suite de la difficulté soulevée par MM. les archéologues… qui regardent les ruines Toussaint comme de grand intérêt. Or il devient impossible de percer cette rue puisque près des ruines Toussaint… sont établis les bâtiments de la Manutention militaire ». Quant à l’autre extrémité, vers la rue des Lices, les acquisitions à réaliser se monteraient à plus de 50 000 F.
On songe alors à utiliser le jardin pour l’école primaire supérieure. La dépense effraye : plus de 500 000 francs. Il est encore sauvé !