La chapelle des Ursules

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 228, septembre 1999

L’hôtel de ville d’Angers est formé d’un assemblage original de trois bâtiments : l’ancien collège d’Anjou bâti en 1691-1694, la chapelle du couvent des ursulines et le nouveau bâtiment administratif élevé en 1977-1979.


La chapelle de l’ancien couvent des ursulines, dite des Ursules - seule chapelle du XVIIe siècle qui subsiste à Angers, avec celle de la Barre - est issue de la Contre-Réforme. L’ordre des Ursulines, fondé à Brescia par Angèle de Mérici en 1535 pour le soulagement des pauvres, des malades et l’éducation des jeunes filles, essaime en France à partir de la fin du XVIe siècle. La communauté d’Angers, fondée dans la Doutre en 1618, est fille de celle de Bordeaux.

Très vite obligées de déménager, les ursulines s’établissent à proximité du collège d’Anjou, tenu par les Oratoriens, sur un ancien terrain des Cordeliers, jadis planté d’une mauvaise vigne. Ce premier achat est complété en 1619 par l’acquisition d’un hôtel particulier. Le succès venant, elles achètent deux autres hôtels et réussissent même à accaparer le terrain de la rue Neuve (aujourd’hui rue des Ursules) que le conseil de ville avait commencé à ouvrir. De 1639 à 1642, elles font bâtir leur chapelle, puis terminent le couvent dans les années 1680 avec l’édification du cloître et d’un grand bâtiment (devenu l’hôtel du Mail).

Décor plantureux

La chapelle se présente très simplement : large vaisseau couvert d’un berceau lambrissé - autrefois surmonté d’un clocher octogonal - flanqué vers le sud d’une petite chapelle (dédiée à saint Joseph). Vers le nord s’ouvrait le chœur des dames, détruit en 1955. Trois œuvres d’art font l’intérêt de l’édifice : la porte d’entrée, chef-d’œuvre de la sculpture Louis XIII, le retable de la chapelle Saint-Joseph dû aux Angevins Christophe et Jacques Saint-Simon (début du XVIIIe siècle) et surtout l’immense retable du maître-autel, en marbre de couleur et pierre. Consacré par Mgr Henri Arnauld en 1651, on l’attribue – faute d’archives et en raison de son style lavallois – à l’architecte Pierre Corbineau, qui réalisa des œuvres semblables à Laval et à La Flèche. Quant à la statuaire, en terre cuite, elle pourrait provenir, selon les études stylistiques, des ateliers des frères Gervais II et Louis Delabarre. Le tableau central représente l’Annonciation à laquelle est consacrée la chapelle. Sur le mur nord est fixé le cénotaphe de Guillaume Lanier (1646), bienfaiteur du couvent. Il était orné de son portrait peint par Charles Lagouz et disparu voici peu de décennies, de même que l’élégante grille de communion Louis XV. Pour décorer les murs, les religieuses disposaient de douze grandes tapisseries.

Destins divers

La Révolution expulse les vingt-six religieuses le 30 septembre 1792 et convertit la chapelle en magasin pour l’équipement des troupes révolutionnaires. Le mobilier est vendu en partie à l’église de La Daguenière, où il se trouve toujours. En 1797, le couvent est cédé à l’architecte de la ville d’Angers, Jean-François Miet, qui revend aussitôt le tout en treize lots, à l’exception de la chapelle et du bâtiment du chœur des dames. Pour favoriser l’exploitation de tous ces bâtiments éclatés, la rue des Ursules est ouverte à l’emplacement du cloître en 1799.

Dès 1800, la chapelle retrouve son usage cultuel : on y célèbre le 13 avril la première messe officiellement autorisée à Angers. Elle est même promue église paroissiale jusqu’à la réorganisation des paroisses de décembre 1802 qui voit l’ancienne chapelle des Oratoriens la supplanter. Pour ne pas la laisser retomber dans des usages profanes, un groupe de catholiques l’achète en 1803 et y fait célébrer des offices. Après avoir servi de temple luthérien pendant l’occupation prussienne de 1815, la chapelle est réoccupée par les ursulines en 1817. Toutes sortes de « bonnes œuvres » s’y déroulent au XIXe siècle : cours d’instruction religieuse, offices pour les prêtres irlandais chassés de leur pays (1828-1830), pour les Polonais émigrés (1831), pour les réfugiés carlistes d’Espagne en 1839.

Le bâtiment est restauré en 1873. Une sainte Ursule, sculptée par Henri Bouriché, est placée dans la niche du portail. De nouveaux embellissements sont apportés en 1894 : charpente revêtue d’un lambris de chêne, pose de vitraux de Clamens dans le sanctuaire (donnés par les Saint-Pern) et dans la grande baie d’axe (don de Mme de la Selle). Ce dernier, représentant sainte Ursule, n’existe plus.

L’hôtel de ville se rapproche…

Avec les lois de laïcisation, les ursulines doivent fermer leur pensionnat et partir en exil le 7 avril 1910. La propriété de la chapelle et des bâtiments adjacents revient aux descendants du groupe d’Angevins qui l’avaient achetée en 1803, jusqu’à ce qu’ils la concèdent à nouveau aux ursulines de retour dans les années Vingt. Pour agrandir l’hôtel de ville devenu trop exigu, le conseil municipal achète les bâtiments et y installe provisoirement quelques bureaux. L’ensemble est voué à la démolition en 1955, après la mise en service d’une annexe de l’hôtel de ville, dans l’ancienne banque Bordier, rue du Mail.

La chapelle quant à elle est affectée à l’usage du collège Saint-Julien, à partir de 1949. Diverses manifestations s’y déroulent, comme les premières représentations du « Chemin de Noël » en 1951, par les Compagnons du Masque au Genêt de René Rabault. Mais la chapelle elle-même est convoitée par la municipalité.

Dans les greniers de l’hôtel de ville, les archives manquent de place, tellement que les bureaux eux-mêmes en sont encombrés. Aussi la direction des Archives de France préconise-t-elle l’utilisation de la chapelle en salle d’archives. Elle pourrait contenir 3 325 mètres linéaires de documents. La tribune serait convertie en salle de tri, les meubles à plans installés sous la tribune et l’archiviste dans la sacristie. Autre solution qui a la faveur de certains conseillers : raser la construction et agrandir l’hôtel de ville sur sa façade postérieure. Achetée par la ville en 1968, la chapelle est finalement sauvée à la fois de la démolition et d’une utilisation qui l’aurait dénaturée. Restaurée, elle sert notamment, du fait de son excellente acoustique, de salle de concert.