L'hôtel de Chemellier. I - Des Lantivy aux Chemellier

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 194, mars 1996

 

Rue de l'Hôpital (rebaptisée rue David-d'Angers) et impasse de la Mairie, boulevard de la Mairie, devenu boulevard Bessonneau et, depuis 1980, de la Résistance-et-de-la-Déportation : autant d'adresses successives qui trahissent l'histoire d'un ancien hôtel particulier, actuellement bien connu pour ses expositions, l'hôtel de Chemellier.

 

 

L'histoire commence en 1775, lorsque Louis-André de Lantivy, ancien officier du régiment de Fouquet-Cavalerie, et son épouse Charlotte de Montecler, mariés depuis 1754, achètent pour le démolir l'hôtel Saint-Blaise, niché près de la porte Neuve, à l'angle de la rue de l'Hôpital et des fortifications de saint Louis qui enserraient encore la ville. Choisissant Michel Bardoul de la Bigotière, le meilleur architecte du moment, ils se font élever entre 1778 et 1785 l'hôtel raffiné que l'on connaît et qui montre une si belle façade néoclassique sur la rue David-d'Angers. Le jeune sculpteur Pierre-Louis David, futur père de David d'Angers, y travaille. C'était là la façade principale. Vers l'actuel boulevard, l'hôtel était en partie masqué par le mur de ville. Le 3 septembre 1785, M. de Lantivy obtient cependant de pouvoir le baisser de quelques pieds, de façon à y aménager une promenade accessible depuis le premier étage de sa demeure.

Bien national

Le 16 mars 1793, Louis-André de Lantivy meurt à Orléans, laissant quatre enfants, dont trois étaient émigrés. L'hôtel, réquisitionné par la Nation, sert de quartier général au commandant de la place d'Angers, puis à l'état-major de l'armée des Côtes de l'Océan. Le 27 mars 1796, Charette y est conduit prisonnier, mais il en repart le soir même pour Nantes. En 1799, à la suite du partage de la pré-succession de la veuve de L.-A. de Lantivy, l'hôtel devient en totalité Bien national. Il est concédé en 1810 à la Ville d'Angers, à la condition d'y loger le commandant militaire du département et son état-major. Cette condition n'étant plus remplie, la concession est révoquée en octobre 1824, mais l'administration municipale ne le rend que deux ans plus tard.

Restitution

Cependant les héritiers Lantivy avaient réclamé la restitution de leur bien, en vertu de la loi du 5 décembre 1814 sur les Biens nationaux. Après maintes difficultés, ils obtiennent enfin qu'il leur soit rendu par l'ordonnance royale du 1er septembre 1831. La remise effective n'a lieu qu'en mai 1833. Ces batailles terminées, d'autres surviennent. L'hôtel est dans l'indivision : les héritiers décident de le vendre. Opposition de la Mairie : le maire réclame que soit distraite de la vente une portion de terrain ajoutée par la Ville, durant sa jouissance de l'hôtel, pour agrandir la cour sur l'ancien emplacement des fortifications. Ainsi la demeure avait été mise en communication directe avec le boulevard nouvellement édifié. S'ensuit un procès, tranché en juillet 1835 par un échange de terrain avec les héritiers. La Ville reçoit en dédommagement les anciennes écuries de l'hôtel, faisant saillie sur la cour de l'hôtel de ville (esplanade actuelle).

L'hôtel en 1835

La vente peut donc avoir lieu le 28 août 1835 : l'hôtel de Lantivy est acheté par Jean-Guy Petit, vicomte de Chemellier, pour 68 200 francs. On l'appellera désormais l'hôtel de Chemellier. Voici quel était son état à l'époque de la vente, d'après les Affiches, annonces et avis divers d'Angers (21 janvier 1834) : "Cet hôtel… se compose d'une grande cour d'entrée sur le boulevard, dont partie est pavée, et partie en jardin d'agrément, avec porte cochère en fer, autre petite porte sur la rue de l'Hôpital, lieux d'aisances, remise, écuries, pouvant convenir sept chevaux…, un grand grenier à fourrages, grand escalier en pierre de grès montant de la cour à la terrasse, puits et bûcher.
Au rez-de-chaussée, d'un vestibule d'escalier, de trois pièces donnant sur la rue de l'Hôpital, sous lesquelles sont deux grandes caves voûtées ; de l'autre côté d'une cuisine avec four et bûcher, derrière la cuisine, d'un escalier, et à demi étage d'une grande pièce sur la rue de la Mairie… ; escalier en grès en fer à cheval pour monter de la terrasse au premier étage.
Au premier étage, d'un vestibule d'escalier, d'une vaste antichambre et d'un grand salon parfaitement décoré, avec parquets, glaces, sculpture, cheminées revêtues de marbre, belle tapisserie des Gobelins, balcon dans toute la longueur du bâtiment sur la rue de l'Hôpital ; au-dessus de la cuisine d'une salle à manger avec cheminée revêtue de marbre, office et buffets (…)".

Bien des élégances…

L'époque "Chemellier", 1835-1899, est brillante. Les Chemellier sont des artistes. Jean-Guy peint ; Georges, son fils, sculpte et offre, en 1891-1892, deux statues en bronze pour le jardin du Mail. Avec les Talbot, Hetzel, Contades…, ils organisent des fêtes musicales. Le Cercle de l'Union, dit des Jeunes nobles, est créé à l'hôtel de Chemellier en février 1855 et y réside jusqu'en 1869. Le Journal de Maine-et-Loire en 1905 (9 février) décrit cette période :

"Cette maison… a vu défiler bien des élégances et bien des rêves d'artistes. Il y a des Angevins qui se rappellent le temps où, dans ces salons aux boiseries précieuses, on jouait la comédie, on faisait de la musique, on se laissait aller à la vie fine, et, toujours, avant toutes choses, aux jouissances de l'Art. On sait à quel point les maîtres du logis furent des artistes. Ai-je besoin de redire le talent de l'auteur du "clown" ? Son père fut un vigoureux peintre. (…). La beauté de l'hôtel de Chemellier et les souvenirs d'art qui l'emplissent font de cette demeure le naturel asile des Amis des Arts".