Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 231, décembre 1999
Durant plus de six siècles se sont tissés des liens d’amitié entre Angers et la Pologne.
Sainte Hedwige
Les premières relations connues entre l’Anjou et la Pologne s’ouvrent au XIVe siècle et sont la conséquence de l’accession des princes angevins au trône de Hongrie. Le frère de saint Louis, Charles Ier d’Anjou, roi de Naples depuis 1266, marie son fils Charles II à l’héritière du roi Ladislas IV de Hongrie. Après une lutte acharnée contre le roi de Bohême, le petit-fils de Charles II, Carobert, ceint la couronne de Hongrie en 1310. Il épouse Élisabeth, sœur du roi de Pologne Casimir III, avec qui il noue de solides liens d’amitié. Aussi Casimir signe-t-il un accord avec Carobert selon lequel la couronne polonaise reviendrait à la dynastie angevine s’il ne laissait pas d’héritiers. Ce qui arrive effectivement en 1370 au bénéfice du fils de Carobert : Louis d’Anjou. Quand celui-ci meurt en 1382, les seigneurs polonais font hommage de la couronne de Pologne à sa troisième fille, Hedwige. C’est ainsi qu’une princesse d’origine angevine est à la tête de la Pologne, jusqu’à sa mort en 1399. Tous les historiens assurent qu’elle vécut pieusement. D’après son épitaphe, elle fut « la colonne de l’Église, la richesse du clergé, la rosée des pauvres, l’honneur de la noblesse, la pieuse tutrice du peuple ». Elle fit don de ses biens, moitié aux pauvres, moitié à l’université de Cracovie. C’est elle qui donna la Vierge Marie comme patronne à la Pologne. Ses vertus ont été reconnues par sa canonisation en 1997.
Henri d’Anjou, roi de Pologne
Ces liens de l’Anjou avec la Pologne se renouvellent en 1573 lorsque Henri de Valois, duc d’Anjou, dernier fils de Henri II, est élu roi de Pologne par la Diète de Varsovie. Le juriste angevin Jean Bodin est chargé de « haranguer » les ambassadeurs de la Diète à Metz et de les accompagner jusqu’à Paris. Son ouvrage La République, dans lequel il construit une théorie de l’État, doit beaucoup aux échanges qu’il eut alors avec les Polonais, de même que celui de son contemporain René Choppin, Le Domaine de la couronne de France. Henri de Valois ne reste qu’un peu plus de cent jours en Pologne et rentre secrètement en France à la mort de son frère Charles IX pour prendre sa succession.
Est-ce à la suite de ces événements qu’une auberge d’Angers, située au bas de la montée de l’Esvière, et qui n’est pas l’hôtel actuellement appelé – à tort – le Roi-de-Pologne , est dénommée « Roy de Pologne » ? Nous n’en savons rien. La première mention de cette appellation ne remonte qu’à 1749. Toujours est-il qu’Angers n’oublie pas la Pologne, puisqu’une fête en son honneur organisée par les Amis de la constitution s’y déroule en mars 1791. Un an plus tard a lieu l’inauguration solennelle de la réunion des drapeaux des nations anglaise, américaine, polonaise et française.
Réfugiés polonais
La grande insurrection polonaise de 1830, vite réprimée par les Russes, jette en France et notamment à Angers un grand nombre de Polonais . Le poète Mickiewicz est introduit dans la société intellectuelle parisienne par David d’Angers et se lie d’amitié avec l’Angevin Cyprien Robert , tandis qu’à Angers le cénacle de la famille Pavie accueille les Polonais Léonard Rettel et Jérôme Kajciewisz. Léonard Rettel « prêchait la résignation aux douleurs de l’exil. À Laval, il existait un dépôt de réfugiés polonais, comme à Angers ; souvent il s’y rendait à pied, partant le soir et arrivant au lever du soleil, fumant toujours et humant force tasses de café le long du chemin » (Théodore Pavie, Victor Pavie, sa jeunesse, ses relations littéraires). Les recensements de la population montrent qu’un grand nombre de Polonais se sont installés à Angers. L’un d’eux, Kretlow, est conducteur de travaux au service de la Voirie. En 1848, les Polonais d’Angers participent à la fête de la promulgation de la Constitution de la Deuxième République. La rue Polonaise, rue privée ouverte derrière Sainte-Thérèse lors de la construction de l’église en 1857, leur est dédiée en reconnaissance de l’aide apportée par la Pologne dans la guerre de Crimée. Cette dénomination est conservée lors de son classement dans les voies municipales, mais supprimée en 1893 après les accords franco-russes…
Le gouvernement polonais en exil
En 1924 se crée un Comité angevin des Amis de la Pologne qui organise conférences, galas, concerts… Après la double attaque allemande et russe de la Pologne en septembre 1939, Angers est choisie par le président du Conseil français, Édouard Daladier, pour accueillir le gouvernement polonais en exil. Le 22 novembre, le général Sikorski et son gouvernement s’installent à Angers, en particulier dans l’hôtel Le Bault de la Morinière, à l’angle des boulevards Foch et du Roi-René. Le président de la République polonaise, Raczkiewicz, arrive à son tour le 2 décembre et réside au château de Pignerolle. La municipalité d’Angers et les Angevins font preuve d’une large hospitalité pour recevoir les nombreux Polonais accompagnant le gouvernement. La défaite française les oblige à s’exiler de nouveau le 14 juin 1940, à Libourne, puis en Angleterre.
Les relations officielles sont renouées par l’envoi des tapisseries du « Chant du Monde » de Jean Lurçat à Lodz et à Gdansk en avril-mai 1974. En échange, Angers reçoit en 1975 une exposition de tapisseries contemporaines et des lissiers de Lodz. À plusieurs reprises, l’ambassadeur de Pologne se rend à Angers (1975, 1978). De son côté, l’Église d’Anjou accueille du 15 au 18 avril 1986 le cardinal-primat Glemp. Les artistes d’origine polonaise Gleb et Kretz travaillent à Angers ou pour Angers. Durant ces vingt dernières années, les échanges se sont multipliés, entre l’université, les établissements d’enseignement, le diocèse, les syndicats angevins… et leurs homologues polonais. Des expositions font mieux connaître la Pologne, comme la foire-exposition de 1988 et l’actuelle exposition des crèches de Cracovie. L’amitié entre Angers et la Pologne s’en trouve renforcée.