Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 218, septembre 1998
"Immense, l'étendue n'avait pas d'autres limites que les festons gris des lointains coteaux bordant l'horizon. D'une part, la région âpre et tourmentée de l'ardoise, un sol noirâtre, creusé de gouffres ou bosselé d'éminences où se hérissaient de bizarres silhouettes. De l'autre côté, la plaine vert émeraude, rayée de lignes plus foncées par les minces rideaux de saules et de peupliers, peuplée de maisonnettes, tantôt isolées, tantôt serrées autour d'un fin clocher" (Mathilde Alanic, Au pays de l'ardoise).
Voilà les deux visages de Trélazé : l'industriel et le maraîcher. Ses habitants n'ont-ils pas d'ailleurs été jusqu'au XIXe siècle un peu l'un et un peu l'autre ? C'est avec l'ardoise que Trélazé s'est fait un nom, exporté internationalement, un nom qui peut rimer avec qualité et variété des produits.
Saint Lézin
Ce nom de Trélazé est issu d'un grand propriétaire gallo-romain (Trellius ou Trellicius + suffixe iacum, d'où la finale en - é) qui avait là exploitation agricole et villa, comme celle que l'on mit au jour en 1882 à Cartigné. À l'époque, il n'était pas question d'ardoise et le schiste n'était employé que comme moellon. C'est à saint Lézin, évêque d'Angers au VIe siècle, que l'on attribue la découverte des qualités du schiste ardoisier, finement débité, pour les toitures. Tout cela n'est sans doute que pieuse légende, car les données archéologiques ne permettent pas de faire remonter l'exploitation de l'ardoise avant les XIe-XIIe siècles. Quant aux premiers documents qui l'attestent, ils ne datent que du XIVe siècle pour la carrière de Pigeon à Angers et de 1406 pour Tire-Poche à Trélazé. L'exploitation était alors fort rudimentaire.
Cette activité naissante hâte le défrichement de la grande forêt de Verrières entrepris depuis le XIe siècle et qui couvrait tout le nord et l'est d'Angers. Il en subsiste aujourd'hui 125 hectares. Au XIIe siècle, Trelazeium possède sa paroisse, démembrée de celle de Saint-Sylvain, comme Saint-Barthélemy. Elle appartient à l'abbaye Toussaint qui y nomme un prieur-curé. Le premier connu est Étienne de la Porte en 1386. Quant aux registres paroissiaux, ils sont conservés à partir de 1606.
Inondations dévastatrices
La vie des Trélazéens d'alors n'était pas facile, si l'on en juge notamment par les nombreuses inondations qui empêchaient même d'accéder à l'église. Ainsi, le 24 mars 1615, on enterre à la chapelle Saint-Lézin "pour éviter la grande crue qui estoit presque sur le grand autel de l'église paroissiale". En 1735 enfin, la levée de la Loire est achevée, ce qui permet le développement des carrières d'ardoises dans les parties basses. Cet événement est commémoré en 1743 par l'érection de la Pyramide, toujours visible.
Trélazé n'était pas définitivement à l'abri : la levée de la Loire est rompue lors des grandes inondations de 1856 et des cataractes d'eau envahissent toutes les carrières jusqu'au pied des buttes des Grands-Carreaux. Venu se rendre compte du désastre par lui-même, Napoléon III décide la construction d'une nouvelle digue complémentaire sur la rive droite de l'Authion, de la route de La Pyramide à la voie ferrée : protection cette fois efficace, achevée en 1858.
Depuis le XVIIe siècle, beaucoup de grands personnages, curieux de l'exploitation des ardoisières, se sont rendus sur les lieux : Marie de Médicis en 1619 ; le philosophe Anglais Locke en 1678 ; l'intendant de la généralité de Tours, Lescalopier, en 1762. Dans son rapport, il évalue à 1 200 le nombre des ouvriers pour l'ensemble des carrières d'Angers-Trélazé et à plus de 26 millions le nombre d'ardoises produites par an.
Les ouvriers s'organisent
Le XIXe siècle est le siècle de l'ardoise et des ardoisiers. Les grands exploitants se regroupent progressivement, entre 1808 et 1891 qui voit la naissance de la "Commission des Ardoisières d'Angers", principale société de production. De nombreux ouvriers sont recrutés en Bretagne, main-d'oeuvre facile et bon marché que les Angevins de souche ne regardent pas toujours d'un bon oeil. De leur côté, les ouvriers ne restent pas inactifs. Les conditions de travail sont bien trop difficiles. Naît ainsi la vocation révolutionnaire de Trélazé, exceptionnelle dans l'Anjou conservateur : une "banlieue rouge" qui inquiétait la grande ville si proche…
Déjà en 1790, des perrayeurs - comme on appelle les ouvriers des ardoises - participent à une marche sur Angers. En août 1855, un grand nombre d'ouvriers, membres de la société secrète la Marianne qui vise à rétablir la République, s'insurgent, pillent la gendarmerie de Trélazé et marchent sur Angers sous la direction d'Attibert, grande figure de la révolte ouvrière trélazéenne. L'insurrection de la Marianne est vite réprimée. Les meneurs sont déportés à Cayenne. François Attibert réussit cependant à s'échapper et revient entretenir à Trélazé "l'agitation et l'esprit de révolte".
Les ouvriers utilisent le droit de grève, rétabli en 1864 et se syndiquent en 1880-1890. Les trente années qui suivent sont des années d'intense lutte. En 1900, la quasi totalité des trois mille ouvriers adhère au syndicat des ardoisiers. Les grands ténors socialistes et anarchistes viennent à Trélazé : Jean-Baptiste Clément - auteur du "Temps des cerises" - en 1884, Allemane en 1886, l'anarchiste Tortelier en 1889, Louise Michel en 1903, Léon Jouhaux en 1910 et 1913… Grâce à l'action opiniâtre des Trélazéens André Bahonneau, Louis Monternault et Ludovic Ménard, le statut d'ardoisier est assimilé au statut de mineur : en 1920 pour la Sécurité sociale minière, entièrement assimilé en 1947.
Les allumettes, une nouvelle industrie
Trélazé renforce encore sa vocation industrielle avec la fondation en 1863 d'une fabrique d'allumettes. Cette fois, les femmes de carriers, dont bon nombre travaillaient à Angers aux textiles et cordages Bessonneau, trouvent du travail sur place. Devenue nationale en 1889, la manufacture regroupe peu à peu une grande partie de la production française. En 1967, Trélazé produit 26 milliards d'allumettes par an. Une nouvelle concentration dans la production de la SEITA conduit cependant à la fermeture de la "Manu" en 1981.
Désormais, alors que l'extraction de l'ardoise occupe moins de 300 ouvriers, l'heure - comme partout ailleurs - n'est plus au "tout industriel". En 1992, le commerce occupe 41 % de la population active, le bâtiment 20%, l'industrie 19%, les services 16 %. Un autre monde est né, qui mise plus sur le secteur culturel. La fameuse salle de la Maraîchère, inaugurée en 1868, n'est plus seul équipement socio-culturel et éducatif : collège Jean-Rostand inauguré en 1995, parc du Vissoir, bibliothèque municipale, musée de l'ardoise ouvert en 1984…
Ville de 11 000 habitants, Trélazé n'a jamais eu de souci pour affirmer sa personnalité face à la capitale de l'Anjou, pourtant si proche. La reconversion culturelle d'une partie de son site minier est encore une chance pour l'avenir.