André Leroy, ou le génie de l'horticulture

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 205, avril 1997

En 1704, il n'existe en Anjou aucune pépinière capable de fournir cinq cents ormes pour la replantation du Mail. Les échevins sont obligés de s'adresser au grand centre horticole d'Orléans. Les premières pépinières angevines apparaissent à Angers et à Doué vers le milieu du XVIIIe siècle.

A Angers, le jardinier François Leroy installe ses plantations - vers 1730 ? - le long du chemin des Banchais (route de Paris). Ses petits-fils sont à l'origine de deux branches de célèbres horticulteurs : l'aîné, André-Pierre, établit son domaine à la Croix-Montaillé en 1780, à l'extrémité de la rue Châteaugontier (actuel départ de la rue de Brissac), tandis que le cadet, Symphorien, reste avec son père chemin des Banchais, au Grand-Jardin.

De la rue de Châteaugontier au Pin

André Leroy (1801-1875), issu de trois générations de jardiniers, donne à l'entreprise un immense essor, malgré un grand nombre de concurrents. L'horticulture angevine est alors en plein développement, en particulier grâce à la culture de la trilogie "hortensia, magnolia, camélia". Sa formation achevée, il reprend l'exploitation familiale des mains de sa mère en 1822.

Les établissements André-Leroy deviennent les plus importants de toute l'Europe. Déjà célèbre en 1843, il reçoit la visite du duc de Nemours lors de son passage à Angers. Ses cultures atteignent plus de trente hectares en 1840, plus de 108 hectares en 1847. De nombreux voyages en Europe perfectionnent son savoir, lui apportent nouveaux débouchés et nouvelles plantes. Le premier, il se lance dans l'exportation : grâce à son adjoint Michel Desportes, il s'ouvre vers 1850 le marché des États-Unis, jusque-là clients de l'Angleterre, qui s'approvisionnait elle-même… en Anjou. Dès la première année, il expédie mille caisses de plants et d'arbustes. Bientôt, il crée une succursale à New-York.

Les bureaux de la rue Châteaugontier sont transférés en 1859 au château du Pin (rue Mirabeau actuelle). En 1863, les pépinières représentent 168 hectares, en différents enclos, répartis en trente services dirigés chacun par un contremaître spécialiste, état-major d'élite d'où sont issues bon nombre d'entreprises horticoles. Ainsi Édouard Minier, fondateur des établissements Minier-Halopé en 1872, a-t-il d'abord été contremaître aux pépinières Leroy. En 1875, à la mort d'André Leroy, trois cents ouvriers travaillent sur quelque deux cents hectares. Chaque année à partir de 1855, un Catalogue général descriptif et raisonné est publié en cinq langues. En outre, en 1866, André Leroy entreprend une vaste encyclopédie arboricole, le Dictionnaire de pomologie, en six volumes, terminé après sa mort par Bonneserre de Saint-Denis en 1879.

Visite aux pépinières

Le 23 juin 1875, un mois avant la mort d'André Leroy, la Société botanique de France visite les pépinières. Les deux tiers des cultures se trouvent à Angers. L'allée principale qui les coupe au milieu a plus de deux km de long. Vers le milieu de l'enclos s'élève le château du Pin, autour duquel se trouvent les cultures des arbres de prix et des arbustes à fleurs. S'y ajoutent des serres, les châssis et les écoles d'étude pour les plantes acclimatées en Anjou par André Leroy. Elles se développent sur des lignes offrant jusqu'à huit cents mètres de longueur. En 1890, Paul Viriot écrit dans ses Croquis angevins : "Du haut de la tour Saint-Aubin, je me rappelle avoir vu briller à des lieues à la ronde les vitres des grandes serres par delà l'océan des toits".

Un édile actif

Son entregent amène André Leroy à jouer un rôle très actif dans les affaires de la cité. Conseiller municipal de 1840 à 1845 et de 1848 à 1870, il s'intéresse à l'embellissement de sa ville, trace le jardin de la Préfecture et celui du Mail, offre des plantes, prépare les premières expositions horticoles. En 1853, il fait planter à ses frais des magnolias autour du nouveau rond-point de la rue d'Orléans (rue Paul-Bert, place André-Leroy actuelles). Le départ de la rue Rabelais est pris sur ses propriétés. Le grand horticulteur, au sommet de la vie sociale, économique et politique de la ville, reçoit la Légion d'honneur en 1855. Il est président du Comice horticole à partir de 1858.

André Leroy n'a pas de successeur direct. Son gendre, Loriol de Barny, reprend les pépinières, mais en cède une partie à Mgr Freppel pour bâtir l'Université catholique. Les terrains les plus proches de la ville sont lotis. Loriol de Barny mort, tout est vendu en 1891. Les pépinières sont reprises par les Brault qui transfèrent le siège de l'exploitation au 186 rue de Létanduère, dans un superbe bâtiment construit de neuf à la fin du XIXe siècle.

La branche cadette des Leroy, au Grand-Jardin, route de Paris, subsiste plus longtemps. Louis-Anatole Leroy, petit-fils de Symphorien, ne les cède au normand René Levavasseur qu'en 1907. Après la mort de Louis-Anatole Leroy en 1920, les pépinières sont transférées route des Ponts-de-Cé. Dix ans plus tard, René Levavasseur rachète les pépinières André-Leroy. Les deux exploitations de la famille Leroy, créées au XVIIIe siècle, sont pour la première fois réunies en une seule main.