Quand les maires festoyaient...

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 221, décembre 1998

Maurice Edmond Sailland, dit Curnonsky, était angevin. Né en 1872, le "prince des gastronomes" a su défendre la cuisine française. Mais l'art du bien manger est de toute époque… Témoins, ces quelques moments "gastronomiques" de l'hôtel de ville, extraits des archives.

En Anjou, comme ailleurs, les occasions n'ont jamais manqué pour festiner. Les plus anciens menus conservés aux archives municipales - en réalité des notes de frais détaillées - remontent à 1669. Le conseil de ville, créé par Louis XI en 1475, avait chaque année au moins deux bonnes raisons de donner de grands repas : les élections du 1er mai (renouvellement de deux échevins chaque année et du maire tous les deux ans) et la grande procession de la Fête-Dieu (appelée le Sacre à Angers). S'y ajoutent les banquets offerts en l'honneur de la famille royale ou à de hauts personnages en visite.

Un festin "au deschet"

En 1651, dans sa chronique, le curé Jousselin de Sainte-Croix d'Angers présente les repas d'élections du 1er mai comme une tradition : "Comme ce soit la coustume que le premier de may, jour de l’élection du maire, il se fait un festin auquel participent tous ceux du corps de ville et quelquefois les députez des paroisses qui ont nommé le maire et les eschevins…" Sur la table, viandes fines et dessert arboraient les armoiries du nouvel élu. Le menu de 1651 n'a pas été conservé, mais l'on sait par Jousselin que du paon devait être servi, vestige des tables seigneuriales du Moyen Âge.

La tradition est rompue en 1651 par les événements de la Fronde. Le "parti populaire" réussit à faire élire maire l'avocat Michel Bruneau, choisi en dehors du groupe des magistrats du présidial qui détient habituellement le pouvoir. Pour lui nuire en faisant retomber sur lui l'accusation de "folles dépenses", les échevins appartenant à ce groupe commandent un festin somptueux. Le maire refuse sa porte au banquet : le pâtissier Chompaing l'installe donc à l'hôtel de ville. Peine perdue, les mets restent seuls dans la salle… Le préjudice s'élève à 1 183 livres, sans le pain et le vin, somme énorme pour l'époque. Le 2 mai, le lieutenant général de police permet "de vendre ledict festin au deschet (…), à très grande perte : ce qui avoit cousté un escu estoit vendu 10 sols", sans compter "la grande confusion du monde, qui prist beaucoup de choses sans payer”.

Dîner du 1er mai 1725

Cette mésaventure reste exceptionnelle dans les annales du conseil de ville, où d'ordinaire les dîners étaient plus appréciés. Voici le menu du 1er mai 1725 (Arch. mun. Angers, CC 19). Il est remarquable du service à la française qui dispose tous les plats d'un même service sur la table, suivant un plan bien réglé comportant : potages et entrées, rôt (viandes), entremets (ragoûts, tourtes, pâtés disposés entre le rôt et le dessert), dessert. Des hors-d'oeuvre accompagnent entrées et entremets. Les convives ne mangent pas de tout, mais choisissent en fonction de leurs goûts et de la proximité des plats.

Pour une table de 28 couverts :

Potages et entrées : Au milieu, un surtout garni, à côté un gros aloyau à la Godard garni d'un miroton et de son ragoût, un gros quartier de veau piqué de jambon, un grand potage de poularde farcie garnie de laitue farcie aux petits pois, un grand potage garni de pigeons aux écrevisses, une grande tourte de filets de lapereau, une tourte de douze pigeons naissants au coulis d'écrevisse, une grande terrine de 18 queues de mouton, une grande terrine de deux langues de boeuf à la braise au jambon.

Petits plats d'entrée : deux plats de deux gélines farcies aux truffes, deux plats de six pigeons au basilic, deux plats de fricassée de poulet aux champignons.

Rôt : une "eselanche" à la royale avec son ragoût, deux filets de boeuf à la broche aux câpres, deux filets de noix de veau aux mousserons, une poitrine de veau farcie à la Dauphine, un miroton de huit cailles.

Hors-d'oeuvre : deux plats de boudin noir, deux d'andouilles et deux de petits pâtés, deux de côtelettes en crépine, deux plats de raves, deux de moutarde.

Entremets : jambon, grand pâté, deux corbeilles de gelée de blanc-manger, deux lapereaux, six pigeons naissants, huit cailles bardées, huit poulets de grain, deux plats de gelines en dindonneau, deux fritures d'artichauts, deux plats d'asperges au jus, une croûte au jambon, un pain aux mousserons, deux grands plats d'écrevisses, deux ragoûts de petits pois, deux jattes d'oranges, quatre salades différentes.

Dessert : quatre grandes corbeilles d'oranges douces dressées en buisson, deux grandes corbeilles de gaufres, deux de fruits crus, deux grandes tourtes différentes pour les bouts de la table, pour les côtés deux ovales de pralines, quatre compotes différentes, deux ovales de pelure d'orange, deux de biscuit amers, deux d'amandes sèches, deux de gros biscuits, artichauts, deux compotes liquides, deux corbeilles d'oranges douces au sucre, deux d'échaudés, deux de crème douce, deux de poires à l'eau de vie.

Collation du Sacre

Les repas du Sacre étaient moins plantureux : il ne s'agissait que d'une collation prise au milieu de la journée, au tertre Saint-Laurent, pendant le sermon du prédicateur. Le soir, un souper était donné à l'hôtel de ville.

Au menu de la collation du Sacre du 2 juin 1768, commandé par Charles Gontard des Chevaleries : un potage et le bouilli, une terrine de langue verte au jambon, une terrine de deux poulets, un plat de ris de veau piqué glacé, deux pigeons à la crapaudine et leur salpicon, un aloyau et son ragoût, un jambon, un dindonneau piqué rôti, un lapereau piqué rôti et quatre cailles, deux salades, un plat de pois, un buisson d'écrevisses, un plat de crémets, deux assiettes de sucre, deux de fraises et deux de cerises, une de "camuseaux", une de praline .