Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 224, mars 1999
Refuge, prison ou hospice, l'hôtel des Pénitentes tient son nom de la communauté de femmes, retirées du péché... qui l'a occupé aux XVIIe et XVIIIe siècles.
L'hôtel doit son origine à l'abbaye Saint-Nicolas : vers la fin du XVe siècle, les religieux font construire à proximité de leur abbaye - mais à l'intérieur des remparts - un bâtiment qui leur servirait de refuge en cas de troubles : c'est le logis de la Voûte où Jean de Charnacé, abbé contesté de Saint-Nicolas, meurt en 1539. En fait, l'hôtel ne sert guère à l'abbaye Saint-Nicolas et l'on y voit loger toutes sortes de personnes. En 1544, frère Jehan Millerteau, prieur du prieuré des Bons-Hommes de Craon, y réside. Les religieux de Saint-Nicolas vendent l'hôtel en 1595 à leur prieur qui, à son tour, s'en défait en 1609 à Germain Chesnaye. En 1642, l'hôtel est loué par le sculpteur Biardeau, auteur du retable de la chapelle de la Barre.
Filles pénitentes…
Voici qu'au plus fort de la Contre-Réforme, alors qu'Angers se couvre de couvents, le prêtre Claude Ménard a l'idée d'établir une maison de filles pénitentes pour retirer les personnes débauchées du vice qui, repenties, ne souhaitent pas retourner dans le monde. Ses amis, notamment Guy Lasnier, archidiacre d'Outre-Maine du diocèse d'Angers, l'encouragent dans cette voie et louent une maison rue du Saint-Esprit, dans la Doutre, pour y installer la communauté vers 1640. La fondation est officiellement établie par lettres patentes royales en mars 1642 :
"Recongnoissans les grands fins et aventages qui peuvent réussir de la très louable entreprise faicte par nos chers et bien amez Claude Ménard, Gilles de Boussac prestre, Denys Berthe de la Bertherye advocat, Jacques Fronteau et autres habitans de nostre ville d'Angers de louer à leurs despens une maison en ladicte ville pour y préposer une femme veufve de probité et de vie exemplaire (…) pour la conduite de ladicte maison, en laquelle seront receues (…) touttes les femmes et filles qui seront tombées dans le péché et qui s'en voudront retirer jusques au nombre de douze ou plus sy l'effect des charitez des susnommez et autres est suffisant pour les entretenir, en laquelle maison elles seront nories, vestues et instruictes en l'amour de Dieu et aprendront tous les arts et mestiers sortables pour gaigner leur vie, soit à coudre, broder, filler et autres choses (…), de laquelle maison la police extérieure appartiendra ausdictz Ménard, de Boussac, de la Bertherie et Fronteau, lesquelz pour cest effect pouront recevoir les charitez, legs, donnations, fondations…"
Et maison correctionnelle
La communauté des pénitentes se développe rapidement et déménage en 1649 au logis de la Voûte, acheté par les directeurs au sculpteur Biardeau le 15 décembre 1645. En décembre 1646, date des secondes lettres patentes confirmant de la communauté, le nombre de filles est passé de 12 à 35. L'évêque d'Angers Henri Arnauld place Marguerite des Haies à leur tête en 1650 et rédige à leur intention en 1673 une règle de vie mise sous le patronage de sainte Madeleine. L'humilité et la mortification en sont le pivot, traduites par la grossièreté de leur habit : robe de serge grise faite à sac sans pli, manches closes, voile d'étamine en forme de cape, ceinture de laine et guimpe blanche pour masquer le cou.
Plusieurs ensembles d'habitation sont acquis autour du logis de la Voûte en 1650-1655 et 1697. On construit vers 1675-1681 un bâtiment destiné au "refuge" : en effet, la communauté s'est doublée d'une maison correctionnelle où sont détenues, par mesure sanitaire, les filles prostituées.
Usages multiples
À la Révolution, les pénitentes se dispersent mais le "refuge" reste ouvert pour servir à l'incarcération des filles publiques. La double vocation de l'établissement reprend au début du XIXe siècle : prison de femmes et hospice pour femmes indigentes âgées, atteintes d'idiotisme ou vénériennes. La prison est évacuée en 1857, les malades transférées dans le nouvel hospice Sainte-Marie en 1864. Depuis 1856, la ville, qui nourrit de grands desseins, est propriétaire de l'ensemble des bâtiments. La cité ouvrière prévue à son emplacement ne voit pas le jour, mais le quartier est transformé par le percement du boulevard Descazeaux en 1864 qui emporte dans son tracé toute la partie nord des pénitentes (le "refuge", dépendances et chapelle), laissant intact l'ancien logis de la Voûte.
Qu'en faire ? La municipalité envisage diverses solutions : un presbytère pour la paroisse de la Trinité, un bureau de poste, une bibliothèque populaire, la vente pure et simple du bâtiment. On y installe finalement l'école élémentaire de dessin (1883) et la Justice de Paix de la Doutre (1886), puis un musée d'architecture (1922), le siège de la Société des architectes de l'Anjou (1928), l'annexe d'une école primaire et les cours de premier cycle de l'Ecole des Beaux-Arts. Cette dernière occupation durera jusqu'en 1982.
Restaurations
L'hôtel, qui présente un panorama de l'évolution de l'architecture depuis le flamboyant jusqu'à l'art de la seconde Renaissance, est classé monument historique en 1901, puis lentement restauré extérieurement entre 1920 et 1942. Le corps de logis de droite, montre des moulurations aiguës et des torsades de la fin du XVe siècle tandis que l'aile centrale - manifestation de la première Renaissance - renvoie aux constructions de Louis XII à Blois. Les sculptures ont été refaites en grande partie en 1941 (notamment le médaillon Renaissance et la petite pénitente à la base de la cheminée du pignon ouest) par Georges Chesneau, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts. À l'intérieur, une exceptionnelle cheminée Renaissance, digne d'un château de la Loire, est richement décorée de médaillons et de rinceaux.
Sur la gauche du corps central, une aile plus modeste est un témoignage de l'architecture civile à pans de bois, alors très commune à Angers. Son revers est tout différent : un grand portail, surmonté d'un chemin de ronde à deux élégantes tourelles, où la seconde Renaissance a laissé des bossages. Là se trouvait l'entrée des pénitentes, sur la rue Malmorte, entrée remise en honneur lors de la restauration totale de l'hôtel, inaugurée le 13 mars 1992.