L'arrivée du froid

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers, n° 460, janvier-février 2024

Les débuts de la réfrigération à Angers

La glace était autrefois denrée rare. De profondes glacières maçonnées permettaient de la conserver. En 1681, l’intendant ordonne d’en créer deux en ville. Une nouvelle glacière est creusée en 1704 dans le jardin de l’hôtel de ville. Ce système perdure au XIXe siècle. Quand le nouvel abattoir est mis en service en 1910, il n’offre pas encore de frigorifique, mais le projet est à l’étude. Situé au 62 boulevard Henri-Arnaud prolongé, à l’angle du boulevard de Nantes (Gaston-Dumesnil), il est inauguré le 11 janvier 1914.

La Société française de frigorifiques

C’est une société anonyme parisienne fondée en 1913 qui l’a construit et prend en main son exploitation : la Société française de frigorifiques. Dès le 1er janvier 1914, elle signe son premier contrat avec un commerçant angevin, Jean Marionneau, charcutier 17 rue de la Poissonnerie. Il loue pour dix ans la case froide n° 1 du frigorifique, d’une superficie de 2,60 m2, au prix annuel de 290 francs. La société s’engage à assurer au preneur la quantité de glace journalière nécessaire à ses besoins. Elle sera fournie en pains – 3 francs les 100 kg – mais non livrée. Les clients devront venir s’approvisionner directement au frigorifique. La société fournit bien sûr l’abattoir voisin auquel un monorail la relie à partir de 1923.

Et la Société angevine d’application du froid

En 1924, la Société angevine d’application du froid (SAAF) est créée tout à côté, au 1 boulevard Gaston-Dumesnil. Le numéro spécial de « L’Illustration économique et financière » consacré au Maine-et-Loire décrit ses activités : la conservation par le froid de toutes denrées périssables, principalement celle des œufs, par le procédé Lescardé. Ainsi ils peuvent être consommés à la coque après huit mois de conserve, en ayant l’apparence et le goût des œufs frais. Les deux sociétés fusionnent en 1930, sous le nom de la SAAF.

Un commerce d’avant-garde

Peu à peu le froid se diffuse auprès des entreprises et des particuliers grâce à un commerce d’avant-garde, Frigidaire, 38 (puis 52 bis lors du changement de numérotation) boulevard du Maréchal-Foch. Constant Pineau l’ouvre peut-être vers 1925-26, mais la déclaration officielle au registre du commerce date du 8 août 1930. Il s’agit de vendre et d’entretenir des réfrigérateurs mécaniques ménagers importés des États-Unis par la General Motors sous la marque déposée Frigidaire, dont il a obtenu la concession exclusive pour le département. Il installe également glacières et petites armoires réfrigérées professionnelles pour les artisans de l’alimentation. Ces deux activités sont bien visibles sur la photographie de son magasin prise en octobre 1930. L’entreprise de Constant Pineau se renforce peu après par l’arrivée de son gendre, Hyacinthe Simon, fraîchement diplômé de l’école des arts et métiers d’Angers (promotion 27-30). Vendre des produits finis ne suffisait plus, il fallait pouvoir réaliser des chambres froides et sur mesure, en calculant le matériel nécessaire. Un ingénieur était donc bienvenu.

Frigidaire

« En plus de ses « merveilleux réfrigérateurs », annonce une publicité parue lors de la foire-exposition 1932 où Frigidaire a son stand, voyez ses rafraîchisseurs d’eau et refroidisseurs de locaux. Certains produits fonctionnent en Maine-et-Loire depuis six ans. « Visitez ses magnifiques installations aux établissements Pelé à Angers, ainsi qu’à la ferme électrique à la foire-exposition. » Une liste de cent appareils installés dans le département est à la disposition des acheteurs. En 1936, Constant Pineau annonce plus de 300 installations en Maine-et-Loire ; en 1939, plus de 700.

Tout naturellement Hyacinthe Simon prend la succession de son beau-père au début des années cinquante. À partir de 1953 environ, le magasin du boulevard est réservé à la vente des produits domestiques, réfrigérateurs et électroménager. Les activités frigorifiques sont transférées 34 rue Volney sous l’enseigne de la Société anonyme des établissements H. Simon, ingénieur A. et M.

Premières vitrines réfrigérées

On lui doit deux inventions qu’il fait breveter. La vitrine réfrigérée avec réserve sous le plateau de présentation, lui, à l’air libre. Elle est installée pour la première fois chez le boucher René Demange, 29 rue Bressigny, en 1954. Un champagne d’honneur est offert le 13 avril pour bien marquer le départ du « magasin conçu à la manière suisse, avec tout le souci d’hygiène désirable ». C’est le premier du genre en France. La seconde invention est un comptoir réfrigéré intégrant un distributeur de lait frais – les berlingots n’existent pas encore… Elle est inaugurée à l’épicerie Gratas, place du Lycée.

La concurrence n’était pas aussi avancée. On peut citer Raveau, 27 rue Saint-Julien, qui distribuait la marque Frigéco dans les années trente ; Blotière, rue d’Alsace (Kelvinator) ; Fabien Cesbron, 37 rue de Brissac, d’abord spécialiste des moteurs, installations mécaniques et électriques et qui commence le frigorifique vers 1940. Les enseignes se font plus nombreuses après 1945 : Cofrila, rue Saint-Léonard (marques Frigeavia et Everest) ; Oriot, ancien ouvrier chez Constant Pineau, rue Boreau (Kelvinator) et quelques autres tels Angers Radio Électricité (ARE) ; Barrault, Girault (Anjou-Frigorifique), Le Confort Angevin, Henri Guillou (L’Électricité domestique), Coupry (Froid-Pictet)…

Pendant ce temps, que devenait la SAAF, la première société spécialisée dans le froid fondée en Maine-et-Loire ? Elle avait toujours deux cordes à son arc : la production de glace (27 à 40 tonnes par jour) et la conservation des denrées alimentaires. Mais avec le développement des réfrigérateurs, on utilisait de moins en moins de pains de glace. En pleine difficulté, la société est redressée par le gendre du dirigeant, Pierre Mousson, qui mène de front avec succès des études de médecine ! Il est cependant amené à cesser son activité dans le froid en 1963 au profit d’une innovation, l’installation dans les chambres froides, principalement chez les arboriculteurs, d’un système d’atmosphère contrôlée permettant la conservation des fruits jusqu’au début de l’été suivant la récolte. Un trait de génie qui lui vaut une clientèle internationale.

Quant à l’entreprise de Hyacinthe Simon, elle est reprise en 1973 par son fils Luc, diplômé de l’École d’applications frigorifiques de Paris. À partir de 1977, il se consacre uniquement à l’importation et à la distribution d’appareils ménagers. Il cesse son activité en 1995.

Merci à Jean-Noël Marionneau et à Luc Simon qui ont apporté une grande partie du fond documentaire de cet article.