Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 144, mars 1991
La garde nationale puise son origine dans les événements de la Révolution. En fait, elle plonge ses racines plus haut encore, puisqu'elle succède aux vieilles milices bourgeoises, formées de volontaires chargés de veiller à la sécurité des villes.
A l'exemple de Paris
Le 13 juillet 1789 se forme à Paris un comité permanent, sorte de municipalité insurrectionnelle, qui décrète aussitôt la constitution d'une milice bourgeoise. Sa création est entérinée par le roi lors de sa visite à l'hôtel de ville, le 17 juillet suivant. Elle prend alors le nom de garde nationale.
L'exemple gagne les provinces et bientôt chaque municipalité tient à posséder sa garde. A Angers, une milice forte de 1 200 hommes se forme spontanément le 17 juillet. Elle est officialisée le lendemain. Organisée en soixante compagnies regroupées en six légions, suivant le découpage des quartiers, elle est placée sous l'autorité d'un comité permanent chargé de la police de cette troupe. Le 4 août, les 3 000 hommes de la garde élisent leur état-major, dont le colonel-général, Legouz du Plessis, déjà lieutenant-général des armées du roi. Le 30 août, les légions prêtent serment devant le colonel-général au Champ de Mars. La garde nationale a dès lors terminé son organisation.
Pendant la Grande Peur de l'été 1789, elle veille avec succès au maintien de l'ordre à Angers et dans les campagnes environnantes. Elle participe et donne du lustre à toutes les cérémonies du nouveau régime.
Changements…
Le 18 juin 1790 paraît un décret réorganisant toutes les gardes nationales du royaume et supprimant les autres formes de milices. Désormais, les citoyens passifs ne payant pas l'impôt, les domestiques sont écartés de la composition des gardes nationales réservées aux citoyens actifs âgés de plus de 18 ans. À Angers, les registres des rôles de la garde nationale conservés aux Archives municipales font assez voir la sur-représentation de la petite bourgeoisie en son sein.
D'autres décrets, en 1791 et 1793, réforment à nouveau les gardes nationales, cette fois dans un sens plus démocratique, mais aussi plus militaire. Les structures des unités sont calquées sur celles de l'infanterie avec des compagnies groupées en bataillons. Les gradés sont toujours élus, caractéristique supprimée par Napoléon Ier en 1805 : l'empereur se réserve la nomination des officiers.
Sous l'Empire, alors que les effectifs de l'armée impériale s'amenuisent au fil des guerres, la garde nationale est appelée sous les drapeaux en 1812 et 1813. Revenus au pouvoir, les Bourbons réglementent à nouveau l'organisme en 1815 et 1816.
Faveurs royales
Angers bénéficie alors de la munificence de Louis XVIII, et de son frère (le futur Charles X), qui accordent aux gardes nationaux la faveur d'avoir un drapeau aux armes de France. C'est ce dont témoigne le drapeau conservé aux Archives de la ville, avec ses superbes armes royales peintes à la main. Selon toute probabilité, il s'agit de celui dont le conseil municipal décide l'acquisition le 20 juin 1818 sur le budget de 1819 :
"Mr le rapporteur a ensuite remis sous les yeux du conseil deux propositions faites par Mr le Maire qui sont relatives, la première au prix d'un drapeau aux armes de France accordé à la garde nationale de cette ville par son altesse royale le prince colonel-général, et la seconde à l'achat de casques en cuivre pour la compagnie des pompiers.
Vous vous empresserez sans doute, messieurs, a-t-il dit, de voter la somme de 400 francs qui vous est demandée pour l'achat du drapeau. Il est convenable que ce signe de ralliement avertisse tous les citoyens des sentimens de reconnoissance et du profont respect que nous devons à l'auguste maison des Bourbons qui est venue nous sauver des dangers dont nous étions menacés.
Le conseil partageant les sentimens que la commission vient de manifester par l'organe de son rapporteur, s'empresse d'y applaudir et se fait un devoir de consigner ici les sentimens respectueux de sa reconnoissance pour la faveur accordée à la garde nationale d'Angers, d'avoir un drapeau aux armes de France. Il arrête en conséquence qu'il sera porté au budget de 1819 une somme de 400 francs pour en payer le prix"
(Délibérations du conseil municipal, 1 D 11, f° 74 v).
Les ordres royaux
Les armes royales sont accompagnées selon la tradition des deux principaux ordres royaux : Saint-Michel et le Saint-Esprit. Louis XI est à l'origine du premier. Créé en 1469, le collier est formé d'un chaîne ornée de coquilles Saint-Jacques, attribut du pèlerin que le roi portait en permanence sur son chapeau. On trouvait ces coquilles en abondance dans la baie du Mont-Saint-Michel. Le médaillon représente saint Michel terrassant le dragon.
En 1578, Henri III créa un nouvel ordre de chevalerie, dédié au Saint-Esprit parce qu'il avait accédé aux trônes de Pologne, puis de France, à l'époque de la Pentecôte. L'ordre était uniquement réservé aux membres de la noblesse déjà revêtus de l'ordre de Saint-Michel. C'était le plus prestigieux de France. L'insigne est une croix à huit pointes cantonnée de fleurs de lis et portant une colombe à l'avers (saint Michel au revers). La chaîne est formée d'une alternance de fleurs de lis, de trophées de guerre et de H rappelant le fondateur.
Le drapeau se présente comme une pièce d'apparat qui ne devait servir que pour les cérémonies particulièrement solennelles : c'est un grand carré de soie doublée, de 1,72 sur 1,67 m, bordé de franges d'or. Tout le décor a été peint par un artiste habile, en couleurs vives restées très fraîches malgré le temps écoulé.
Bannière d'apparat
D'un côté figurent les grandes armes royales aux trois fleurs de lis sur fond d'azur. Elles sont entourées des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit. Des branches de laurier forment un encadrement de verdure bien venu. Aux quatre angles, les armes d'Angers ponctuent ces mots : "Maine-et-Loire, gardes nationales, arrondissement d'Angers". Au bas, une devise latine flatteuse pour la dynastie des Bourbons exprime la satisfaction des Angevins, naguère heureux de l'avoir pour duc (Louis XVIII était duc d'Anjou avant la Révolution), ils le sont aujourd'hui de l'avoir pour roi ("Jam duce, nunc rege, Andecavi felices").
Le revers est plus simple : la formule le roi, à la garde nationale d'Angers se détache sur un semis de fleurs de lis. Les deux branches de chêne qui l'environnent plaisent à l'oeil par leur savant modelé nuancé et le rendu dans le détail (des glands, par exemple). Elles sont attachées par un noeud de ruban qui retient une fleur de lis.
La fin des gardes nationales
Le 29 avril 1827, Charles X supprime la garde nationale de Paris qui l'avait conspué, mais maintient celles de provinces qui lui semblent moins menaçantes. Lors des journées révolutionnaires de 1830, un grand nombre de gardes nationales participent à l'insurrection. Toutes troquent leurs anciens drapeaux (et les détruisent bien souvent), pour le drapeau tricolore. A Angers, le drapeau fut sans doute soustrait par un officier de la garde et conservé soigneusement dans sa famille de génération en génération.
En 1831, le nouveau roi Louis-Philippe restaure l'institution dans ses structures de 1791, mais la garde nationale ne lui en sait pas gré : c'est elle qui par sa défection en 1848 précipite la chute du roi.
Au moment de la guerre de 1870, les gardes nationales se transforment en armée populaire sur laquelle le gouvernement de la défense nationale compte beaucoup. Mais la garde parisienne trahit ses espoirs, fait sécession et soutient la Commune. Thiers supprime définitivement l'institution le 30 août 1871.
A Angers, les gardes nationaux doivent rendre leurs armes au mois de novembre suivant. Dans son numéro du 21 novembre, l'Union de l'Ouest rapporte que "le désarmement de la garde nationale d'Angers est (…) fort avancé (…). Six cent quatre-vingt onze fusils ont été déposés hier à l'ancien hôtel Pincé, où se trouve l'état-major de la garde nationale".