Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 179, octobre 1994
Mise à jour 26 décembre 2023
Pour connaître la banlieue d'Angers avant le XIXe siècle, les sources sont fragmentaires. Le premier essai cartographique, avant le cadastre de 1810, date de 1700.
Cartes et plans ne remontent guère qu'au XVIe siècle, sauf exception (portulans d'Italie et du Portugal). La première carte régionale de France connue est de 1539 (le diocèse du Mans). Pour Angers, la plus ancienne vue générale, est dessinée par Houfnaglius et publiée en 1561 dans un recueil de vues des cités du monde (Civitates orbis terrarum). C'est une vue cavalière qui montre la rive gauche d'Angers, vue depuis l'ancien couvent des Capucins (emplacement de l'hôpital) et, au premier plan, des fendeurs d'ardoises.
Vues cavalières
En 1575, le peintre Adam Vandelant, d'une famille d'artistes, donne une vue cavalière beaucoup plus précise et plus riche d'enseignements pour l'histoire d'Angers. On y voit figurer par exemple le château, dont les tours n'ont pas encore été arasées. C'est vraisemblablement cette vue qui ornait l'arc de triomphe élevé à la porte Angevine (au bas de l'actuelle rue du Chanoine-Urseau) lors de l'entrée solennelle du duc d'Anjou François de Valois, frère d'Henri III, le 13 avril 1578.
Lorsque l'historien Claude Ménard fait graver en 1638 son Portraict au vray de la ville et fauxbourgs d'Angers, c'est encore une vue cavalière, prise, comme Vandelant, sur la Maine, en amont de la Haute-Chaîne. En 1652, dans un cartouche annexe à sa Carte générale du diocèse d'Anjou commandée par l'archidiacre Guy Arthaud, Jean Le Loyer fait figurer un intéressant plan d'Angers, pourvu d'une légende mais encore dessiné suivant la méthode des vues cavalières.
La première représentation de la ville en projection horizontale est l'oeuvre de Louis Simon, gravée en 1736 et dédiée au maire François Poulain. Malgré bon nombre d'inexactitudes, c'est le premier plan véritable d'Angers, mais il ne va pas au-delà des faubourgs. Il est accompagné de vues des principaux monuments. Les plaques de cuivre en sont conservées au musée des Beaux-Arts. Elles ont servi à un retirage effectué chez l'imprimeur Dolbeau en 1881, à l'initiative de l'archiviste Louis Aubert.
L'oeuvre d'un ancien échevin
Ce plan de 1736 a relégué dans l'ombre le travail d'un certain René Thibaudeau, qui le premier a représenté les faubourgs dans toute leur étendue et la banlieue. On ne sait que fort peu de chose sur lui : ni Thorode, ni Audouys ne le mentionnent dans leurs notes généalogiques et ce qu'en dit C. Port dans ses Artistes angevins s'applique en réalité à un homonyme. Tout au plus sait-on qu'il était notaire royal et a exercé les fonctions d'échevin de 1681 à 1683. Le conseil de ville le considère comme "expérimenté en matière de plan" (registres des délibérations, 24 juillet 1700, BB 102, f° 29 r°) et le qualifie d'arpenteur dans une autre délibération (4 septembre 1700, BB 102, f° 33 r°). Lors d'une contestation avec le fermier des aides qui "prétend exiger" des droits au-delà des barrières, l'intendant de Tours demande, le 19 juillet 1700, un plan de la banlieue pour trancher l'affaire. La Ville s'adresse au sieur Thibaudeau, assisté de l'architecte Godard. Thibaudeau s'exécute promptement. Godard n'est plus mentionné. L'ouvrage, intitulé "Plan de la ville et fauxbourgs d'Angers et des environs", est remis un mois et demi plus tard. Il est entièrement tracé à la plume et bordé de filets à l'encre, à la façon d'un cadre.
Le rendu peut surprendre : toute la ville intra-muros est laissée en blanc et le château est symbolisé par une simple forme géométrique. Seules apparaissent les tours de la porte des Champs. C'est que le plan ne devait fixer que la banlieue, pour répondre à la question fiscale posée. La légende se termine par le nom de son auteur, qui se désigne comme "ancien échevin et géomètre" et par la date de réalisation : 1700. Celle de 1704, communément admise depuis la notice que Célestin Port a consacrée à Thibaudeau dans son Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, ne corespond qu'à une erreur de lecture. C'est bien "1700" qu'il faut lire, ce que confirment les délibérations du conseil de ville. Le 4 septembre 1700, René Thibaudeau est payé cent livres "dudict plan qu'il a faict en tableau".
Le plan est présenté aux échevins en 1707 : "Sur la proposition faitte par monsieur de la Forestrie [conseiller de ville] de sçavoir de cette compagnie si elle seroit d'avis de faire les frais de la gravure du plan de cette ville dont le sieur Thibaudeau en a fait un et qui luy a esté envoyé. Les opinions prises, a esté arresté que le temps n'étant pas favorable, il luy seroit écrit par monsieur le vice-maire de raporter ledit plan sans qu'il y ayt lieu d'y faire aucune dépense pour le graver" (registre des délibérations, 21 mai 1707, BB 104). Pourquoi n'a-t-il pas été gravé ? Peut-être à cause du caractère naïf de son tracé, en dépit duquel le plan reste très précis car Thibaudeau était, comme le porte la légende, géomètre.
De ce fait, le plan est resté quasi inédit jusqu'à nos jours. Il nous était parvenu collé sur une toile grossière, plié comme un drap de lit et fort abîmé. Il a été restauré soigneusement et présenté pour la première fois au public en 1995-1996 à l'exposition "Trésor d'Archives" réalisée par les Archives d'Angers, Nantes, Brest et Rennes.
La banlieue privilégiée
Le plan est tracé à l'encre - une encre acide qui a souvent brûlé le papier - sur plusieurs feuilles assemblées formant un grand carré d'1,17 m sur 1,27 m. Ce n'est pas encore un véritable plan, es bâtiments dessinés en deux dimensions évoquent les vues cavalières. Cependant, il est parfaitement à l'échelle, indiquée en perches d'Anjou : un cm représentant 33,83 m après conversion dans notre système métrique. La ville intra-muros est succinctement représentée par ses plus grands monuments : ce n'est pas la partie qui intéressait l'auteur.
Le plan en revanche est très précieux pour les faubourgs et la banlieue, pour la première fois cartographiée. L'importance des faubourgs Bressigny, Saint-Michel, Saint-Samson, Saint-Lazare, Saint-Jacques est très caractéristique d'une ville depuis longtemps développée hors des murs. Au-delà, un grand nombre de lieux-dits sont indiqués. Ils se retrouvent très précisément sur le premier cadastre de la ville, relevé en 1810 : par exemple la petite ferme du Lutin qui a donné son nom à une rue près de l'avenue Pasteur, la maison de la Croix Rouge (couvent de la Retraite) près de la Madeleine. La nature des cultures est dûment notée : terres labourables, vignes. Celles-ci sont nombreuses dans la banlieue immédiate d'Angers et resteront présentes jusque dans les années 1940 rue La Bruyère, près du cimetière de l'Ouest. Elles le sont encore dans l'enclos du Bon-Pasteur (ancienne abbaye Saint-Nicolas). Autre fait frappant : le grand nombre des moulins, dans tous les faubourgs, spécialement dans le quartier Saint-Lazare ou à la Madeleine. Dernier détail, qui donne l'étymologie de la rue Pierre-Lise actuelle : le lieu de "la grosse pierre". La pierre lis[s]e, au village de "Pierre Lize", n'était-ce pas un mégalithe ?